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La mouche du col

Revue N° 08 Page 58

(BARCELONETTE, Juillet 1978 ...)
C'est une des plus belles nuit de l'été. Le ciel sans lune est mangé d'étoiles. J'aurais pu les compter car nous n'avions pas fermé l'œil. La veille le camp avait été établi non loin d'une charmante petite route départementale. Allez savoir qu'elle menait à la boite de nuit à la mode ! Bercés par les passages incessants des moteurs lancés à plein régime, nous finissons par nous assoupir ... 3 heures du matin. Christian frigorifié nous réveille tous pour boire le café. Le casse-croûte suit.

Nous serons donc les premiers au départ, l'œil vague et la jambe flageolante.
La montée du merveilleux col de la Cayolle se passe sans problème. Marcel nous fait un petit cours de botanique, nous montrant Gentianes et Bouillons blancs, Arnicas et Aster, Campanules et Joubarbes qui colorent la route de son premier 2000.

Une marmotte, intéressée sans doute, l'approuve bruyamment, sifflant d'admiration (?).
La crevaison de Christian dans la descente sur Entraunes nous permet d'enrichir notre répertoire de tout un chapelet de jurons, surtout qu'assis sur le parapet et mangeant un morceau nous lui prodiguons nos conseils sur l'art et la manière de réparer.
Un bref arrêt à St Martin, et en avant pour le col des Champs. Aucun de nous ne le connaît et nous l'attaquons prudemment. Prudence rapidement justifiée par le pourcentage. De plus, le soleil assez discret jusqu'ici commence à taper fort.

Nous sommes très vite en nage. Cela nous rend il appétissant ? Toujours est il qu'une, deux, dix, des centaines de mouches viennent s'agglutiner autour de moi et de mes camarades. C'est infernal, un nuage bourdonne autour de ma tête, elles vont et viennent, se posent sur mon visage, mes bras, mes jambes, c'est un tournoiement démentiel et incessant. De temps à autre je lâche mon guidon et me donne de grandes claques pour les chasser. Cela se fait au détriment de mon équilibre, car la pente est toujours aussi sévère. Et puis zut ! ! Je m'arrête et glisse sans ma casquette un grand mouchoir qui ne me quitte jamais. Jack me dit alors que je ressemble à un légionnaire, en tout cas mon visage est protégé. Aie !! Cela manquait. Je viens d'être piqué par un taon, à un endroit particulièrement sensible. Ç'en est trop, je me lance dans un long sprint rageur pour fuir ces sales bêtes. Je prends 100 mètres à Jack, puis relâche mon effort pour respirer. J'entends alors mon ami me dire d'une voix calme “Te fatigue pas, t'en as pas lâché une”.
Nous continuons donc, découragés, fatigués, piqués. Quand nous regardons nos ombres, nous apercevons une drôle d'auréole au dessus de nos têtes.
De grands jurons derrière nous nous confirment que Christian n'aime pas les taons et le dit. On se demande, avec des pourcentages pareils, où il va chercher tout ce souffle. Son dos, comme le nôtre, comme celui de tous les cyclistes est noir de mouches. Arrivé à notre hauteur il parle d'écrire au ministre de l'Équipement pour faire remplacer les lignes jaunes par des plaquettes d'insecticide.

L'altitude a peu à peu raison de nos encombrantes compagnes, et nous pouvons sur la fin, apprécier pleinement la grandeur sauvage et la beauté du col des Champs. Certains cyclos (?) l'apprécient autrement. Ayant terminé le col en camionnette, ils descendent leur vélo du véhicule, l'enfourchent et continuent la randonnée. J'en verrai le soir qui arboreront leur médaille.

La descente sur Colmars, la rentrée de Jack en vélo dans un café au grand dam du patron, et sa sortie rapide, le repas et la visite (mais oui) de la ville, ce fut une grosse heure bien agréablement passée.

Une fois le café bu, il faut toute l'énergie de Marcel pour nous empêcher de faire la sieste, et, pour nous réveiller, il nous fait attaquer le col d'Allos sur un train d'enfer, jusqu'à la Foux d'Allos du moins, car, à partir de là, nous trois, qui avions levé le pied depuis longtemps, le retrouvons en train de prendre des photos. Et jusqu'au col il prendra beaucoup, beaucoup de photos. Seules les mauvaises langues parlent de coup de Barre. Fi ! Calomnies !
Au sommet Jack est particulièrement heureux, Allos est son centième col, il s'inscrira au club dès son retour à Nîmes.

Après les photos souvenirs, nous enfilons nos K-way et c'est la longue et grandiose plongée sur Barcelonette avec le vide incessant sur la droite. Puis c'est l'ébrouement final à l'arrivée, une jolie coupe gagnée, quatre bonhommes qui se regardent, qui se sont bien amusés, qui ont savouré ce coin des Alpes, se sont gavés de paysages magnifiques, qui sont heureux quoi. Les mouches ? Ah oui les mouches ! Bah, cela fera partie des souvenirs.

Michel JONQUET

Nîmes (30)


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