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RUDE JOURNEE POUR LA PETITE REINE

Revue N° 09 Page 34

Certains pratiquent la chasse aux cols. Moi, c’est la cueillette. C’est plus pacifique, et les cols peuvent repousser pour que d’autres en profitent à leur tour. Seulement voilà… Après cinq ans de balades, j’ai déjà dévoré la plupart des fruits bitumés de nos montagnes. Toutes les pommes du paradis savoyard sont croquées, et me voilà chassé de l’éden pour l’enfer des muletiers… A première vue, je n’ai rien d’une mule. Pourtant, tout cyclo est un peu tête de mule à l’envers : difficile de le faire reculer…

Au programme en cette fin de saison, le Golet de Doucy (1329 m) et le col de la Bornette (1304 m), au-dessus de la Compote en Bauges. Quinze jours plus tôt, je me suis fait coincer par la neige dans le Revard. Un B.P.F. et un bon rhume ! Maintenant la neige est remontée vers 1300 m sauf dans les coins d’ombre.

Le goudron me porte un peu au-delà du cul du bois, une rude grimpée, bien autre chose que le faux col du bout du lac du Bourget (quel est le plaisantin qui a posé le panneau ?). Plus loin, Zitrone parlerait de terrain gras. Moi aussi… Sans grande conviction, j’essaie sur le vélo. En trois tours de roue, tout est irrémédiablement coincé… Je poursuis, sous le vélo. Après avoir failli deux ou trois fois laisser une chaussure dans la boue, j’atteins le col.

L’autre versant est herbeux, donc cyclable… Je fais une rapide toilette de ma pauvre monture (? - 1), juste de quoi faire tourner les roues. Peste soit des garde-boue ! Ces idiots la gardent vraiment ! 1.5 km à plat séparent le Golet de Doucy du col de la Bornette. Il faut compter une heure… C’est que cela tient plus du parcours du combattant que du chemin cyclable. C’est une succession de prés, tourbières, bourbiers, ruisseaux, buissons de ronces et d’arcosses, agrémentée de raidillons glissants entre chaque ruisseau et de plaques de glace dans les coins à l’ombre. Le fin du fin, c’est la tourbière gelée : l’eau stagne dans une foule de flaques à peine gelées (et cachées par l’herbe). A chaque pas c’est l’aventure… Vais-je poser le pied sur du solide ou dans l’eau fraîche ? Pour pimenter encore un peu le parcours, semer quelques barbelés. Secouer le tout, et voilà un cocktail détonant et crevant, surtout si l’on roule sur les barbelés…
Encore quelques troncs à enjamber et voilà l’alpage spongieux du col. Tout droit, un sentier descend à Doussard en longeant la montagne du Charbon. Mais plutôt qu’aller au charbon, je préfère le Reposoir. Question de goût ! Pour aller à ce Reposoir, il faut prendre la route de Belecombe (prendre la route n’est qu’une expression, puisqu’il faut surtout ne pas mettre les pieds sur le chemin, les chaussures y resteraient. Vive les tracteurs forestiers !). Je préfère zigzaguer dans les prés très raides, c’est plus roulant, mais il y a toujours les barbelés à passer… A la sortie du Reposoir, active bourgade de trois fourmilières, le chemin s’engage dans un défilé. Descente assez casse-cou, le chemin étant pavé de mauvaises intentions à mon égard. La pente est ahurissante mais mes freins puissants. Pensez, la boue bloque presque les deux roues… Avec ça, pas de risque de s’emballer !

Le risque, ou plutôt la certitude, c’est de m’arrêter tous les cent mètres pour dégager les roues. Lentement et même pas sûrement, j’avance ; l’ « enfer » touche à sa fin, voici le paradis bitumé (et avec toutes les bagnoles batifolant sur le goudron, y rouler est un des plus sûrs moyens de rejoindre prématurément le paradis des cyclos).

J’ai rejoint le plancher des vélos. Triste équipage que voilà ! Un cycliste boueux des pieds à la tête, juché sur une bécane usée, griffée et dont les chromes ne brilleront plus jamais. Pauvre bête ! Elle était parfaitement innocente !



(1) Monture, monture, c’est vite dit ! Vous connaissez beaucoup de cavaliers qui portent leur cheval dans la boue ?

François Rieu

Alberville (73)


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