La troisième RANDONNEE DU TOURMALET a rassemblé 527 cyclotouristes (venus de 186 clubs de France, de 2 clubs espagnols et d’un club hollandais) auxquels trois parcours étaient offerts pour le passage commun…au col du Tourmalet ! Parmi les 515 cyclos qui parvinrent à le vaincre, un ami journaliste de Tarbes : Jean-Paul Rey, dont c’était à la fois la première randonnée et « le premier 2000 ». «Bof, j’ai escaladé l’Aspin sans trop de peine, il y a quelques mois, le Tourmalet ne sera guère plus dur… Voilà ce que je pensais au moment d’enfourcher ma bicyclette. La veille, un ancien m’avait pourtant prévenu : « J’ai fait l’Izoard cet été : ce n’est rien à côté du Tourmalet… ». Les premiers kilomètres, jusqu’à Ste Marie de Campan, se font dans du beurre. Il n’est pas encore 8 heures du matin, le soleil cligne à travers les nuages, il fait bon, l’odeur du foin fraîchement coupé transpire de chaque pré. Je double quelques gars, d’autres me doublent ; « Salut ! ». Cette politesse exquise me surprend et me ravit à la fois. J’ai bien raison d’en profiter, comme de regarder sans cesse la nature, car, dès la sortie de Gripp, mon regard va se fixer sur le bout de l’asphalte, au bout de ma roue avant pour ne plus le quitter. Je n’entendrai, ne sentirai plus rien, si ce n’est ma douleur. Bien avant la cascade d’Artigues, j’ai dû passer sur le plus petit plateau. L’heure de la torture est venue plus tôt que prévu…Pour deux gars que je double, combien me passeront avec toujours (ou presque) un regard et un mot : « Ca va ? Pas trop dur ? » Je leur réponds que ça ira… Pourtant, c’est terrible cette épreuve ! A chaque coup de pédale, mes cuisses reçoivent la sueur tombant de mon visage ; j’ai mis tout à gauche comme vitesse et je n’ai plus l’impression d’avancer. J’en arrive à ne plus penser non plus. Une idée fixe : arriver en haut.. En haut, cela veut dire que je guette désespérément chaque borne kilométrique. Voir un cyclo qui monte à pied ne me réconforte même pas : plus rien ne peut me faire du bien, sinon descendre de vélo à 2114 mètres d ‘altitude, là où les nuages enserrent le sommet du col. |
Un coup d’œil en contrebas, la route est parsemée de taches multicolores dodelinant. Taches qui surgissent soudain dans mon dos, à une vitesse qui me semble celle du son. Un facétieux : « C’est le plus facile en ce moment : après la Mongie, tu vas voir… ». J’ignore qu’il dit vrai, le gars… Un autre qui compatit alors que je crois ne jamais terminer les trois derniers kilomètres : « Garde ton rythme, t’arrête surtout pas… » Et maintenant un « vieux » d’au moins 70 ans qui me passe , sans un regard, celui-là… Le comble : une femme me montre sa roue arrière : « Surtout pas de complexe ; j’en suis à mon 36ème col depuis le 1er Juillet… ». Je ne suis plus qu’une bête pédalante, je monte à un pas d’homme fatigué, je me surprends à gémir chaque fois que je me hisse en danseuse pour reposer mes reins. Et puis là, enfin, au bout de la ligne droite, le col dans le brouillard. Les jambes qui tremblent un peu en descendant de vélo. « Vite, un café chaud ! ». J’ai faim aussi. Je regarde alors les autres et saisis que tous ont souffert, que leur vitesse souvent plus rapide que la mienne ne leur épargnait point la douleur, au contraire. Quand je plonge vers Barèges, puis Luz-Saint-Sauveur, je me prends pour Icare. Vrai, je vole, rien ne me résiste, même pas les voitures. J’ai envie de crier… au bout (de six heures) de cette première randonnée, après deux cols autres que ce Tourmalet, après une fringale terrifiante , après avoir songé qu’il fallait être maso pour souffrir comme un damné aussi gratuitement, ce sera l’arrivée. Sous un préau, l’organisateur de cette randonnée, le tortionnaire souriant de 1054 mollets, Guy Bartette, m’accueille avec un croissant et un verre d’antésite. Une médaille souvenir que je glisse dans la poche du maillot. L’aveu de mes souffrances à Bartette et à ses copains cyclos des Coustous, et je rejoins ma voiture. Dans l’anonymat. Avec le seul vrai bonheur : celui de m’être vaincu. Tout en hissant ma carcasse dans l’ombre des géants du Tour de France, je le jure, je ne songerai plus jamais une seconde que grimper un col est chose facile.. Mais à propos l’Aubisque culmine à combien ? (recueilli par Guy Bartette) Jean-Paul Rey Tarbes (65) |