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VAL MARTINE OU LE COL DES PROFONDEURS

Revue N° 11 Page 13

Il s'était couché tard. Il ne comptait plus ses cols mais comptait ceux qu'il devait encore conquérir (plus que 6.982 avant la retraite).Ses heures, sur le plateau de Vaucluse, étaient comptées et il se réveilla sans énergie à 7 heures dans la cour du presbytère de Banon. Sa carte Michelin l'avait informé la veille qu'un col isolé, à moins de 6 km et en contrebas, existait : Val Martine 649 m. Bien que contraire à l'idéologie masochiste de la confrérie, son état de santé précaire lui fit passer outre ces considérations métaphysiques. Il enfourcha son coursier blanc qui avait supporté d'autres caprices.

Entraîné par la pente descendante, il chutait et dilapidait inexorablement son capital d'énergie potentielle. Il pensait bien à la remontée, mais " après moi le déluge " se disait-il fataliste, espérant ainsi qu'un violent courant d'air ou d'eau le ramènerait sur les confortables hauteurs d'où il venait.

Soudain le terrain de chasse s'anima : deux carrefours dans la topographie incertaine. Au comble du paroxysme, ne voulant pas laisser échapper une proie aussi facile bien qu'à deux têtes, il traversa de part en part les deux carrefours faisant mine de pourfendre deux pancartes témoins inexistantes. Ce combat imaginaire, avec un col sans montagne ni panneau, malgré une victoire incontestable, le laissa sans bras. Heureusement il lui restait ses jambes qu'il aurait aussi bien abandonnées dans un fossé pour alléger la charge inerte à remonter au camp de base.
Il attaqua sans conviction le retour qui ressembla à un calvaire : le Col Gotha du cyclo épuisé lui rappela les dures lois de la gravitation universelle. Les craintes accumulées au cours de sa rapide approche descendante se réalisèrent : non seulement il avait pris froid pour vaincre le col, mais maintenant il suait à grosses gouttes pour s'échapper du site qui ressemblait plus à une embuscade qu'à un honnête passage entre deux monts. Il concentra tout le glycogène disponible sur le gicleur pour extraire son corps et sa machine de ce mauvais pas. Car, si on peut admettre qu'un col dans une mauvaise passe soit au plus bas, comment peut -on tolérer qu'on impose, à posteriori, à un cycliste, vidé de tout son influx nerveux après une nouvelle citation à son palmarès, un effort aussi violent que la côte qui aurait justement dû précéder le succès ?

Le cyclo était déboussolé et le soleil se levant à l'Ouest en pleine nuit ne l'aurait pas autrement surpris. Il est des jours où tout bascule, où les plus grands vous regardent d'en bas, où les cols perdent leur empois pour devenir mous comme des chiques (on parle même de colchiques...).

Mais Val Martine existe bien et ce matin-là, il l'avait rencontré, mais sans doute dans le mauvais sens : Enitramlav.

François POUESSEL

LONS-LE-SAUNIER (39)


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