...ou "attention tir de mines !" Le jour se lève, éclairant chichement le champ de maïs près duquel nous avons dormi. Le camping sauvage nous offre des merveilles...ou moins bien. Ce lieu est quelconque. Une grue se dresse très haut, à proximité. " Pas fameux le ciel "- " Nous serons sans doute mouillés aujourd'hui ". Nulle rosée n'est tombée sur le toit de la tente : c'est mauvais signe. Nous avalons le petit déjeuner, accroupis à côté du sac plastique qui nous sert de table. Nous avons vite remballé le matériel. Je pousse discrètement la porte de la grille et remplis les bidons au robinet du jardin. Nous venons de Trieste par la plaine, après un Léman Adriatique bien fourni en passages à haute altitude et les cols commencent à nous manquer. Aussi quand j'ai vu qu'un petit détour pouvait nous en offrir quelques uns, nous sommes-nous engagés sur cet itinéraire d'écolier. Hier soir, comme d'habitude, la première personne à qui nous avons demandé la permission de camper nous a aimablement reçus derrière chez elle et indiqué l'emplacement du robinet que nous utilisons maintenant. Nous quittons silencieusement le petit village de Brembate di Sopra sans laisser de trace de notre passage. Nous cheminons sans effort jusqu'à Palazzago, mais là, brusquement la rue se cabre et nos chaînes chutent sur le petit plateau. Nous croisons un homme âgé qui nous lance d'une voix chevrotante : " Forza, forza ! ". Nous réprimons difficilement notre fou-rire. La petite ascension vers le col Pédrino est commencée. Nous nous arrêtons et, malgré la fraîcheur humide, je me dévêts le torse, aimant le contact de l'air sur ma peau nue. Ciel ! après l'épingle, cette ligne qui monte vers la gauche...Quelle inclinaison ! Dément ! " T'as vu Ninick, la route ? ". Elle a vu. Continuons. Nous y sommes et le pourcentage est tout à fait raisonnable : sortilège de la montagne ! La pluie tombe maintenant...et le brouillard l'accompagne. Nous enfilons vivement nos vestes. Après quelques minutes, je prends conscience d'un petit oubli : nous avons gardé nos chaussettes. Erreur de débutant à ne pas commettre. Peu importe. Nous rattrapons quelques enfants ; L'un d'eux, par jeu, court, nous dépasse et s'arrête un peu plus loin. Quelle imprudence ! Mais nous lui sourions au passage. Nous arrivons à Burligo. Il nous faut trouver le chemin qui mène au col. Deux enfants, questionnés, nous invitent par signe à poursuivre la route goudronnée jusqu'à son terme. Un panneau inquiétant mentionne : " Vietato l'ingresso-tiro di mine ". Entrée interdite- Tir de mine. Bôf ! Tant pis, nous verrons bien ! Un petit frisson me parcourt l'échine. Est-ce la pluie ou quelque appréhension ? Nous roulons maintenant sur de la caillasse et longeons des installations industrielles désertes. " T'es sûr que c'est pas dangereux ? " - " Mais non, on ne risque rien, on nous empêcherait de passer si c'était dangereux ". Je n'en suis pas certain du tout, mais il faut bien rassurer Ninick. L'atmosphère feutrée et lourde nous isole, on y voit à peine à cinq mètres. Plus de constructions. Une légère angoisse ne me quitte plus. Il nous faut pousser les vélos : les cailloux sont trop gros et la route monte en lacets que nous découvrons au fur et à mesure de notre lent cheminement. " T'es sûr que c'est par là ? - Par où veux-tu que ce soit ? Tu veux faire demi-tour ? - Ben non ". Alors continuons. Cela fait au moins une heure que nous traînons les bécanes dans la pluie et le brouillard et ça monte toujours. C'est certain, nous nous sommes trompés. Voyons, col de Pédrino 600m moins 480 m à Burligo : nous ne devions prendre qu'une bonne centaine de mètres ! Soudain, des bruits sourds d'explosion retentissent. Cela vient de la plaine. " Hum, je pense que nous ne risquons rien, le front d'exploitation doit être beaucoup plus bas ". Ouais, de grosse pierres venues d'on ne sait où parsèment la piste. Pas très rassurant ! Au détour d'une épingle, un panneau interdit l'accès d'un embranchement en descente. C'est donc par là qu'on tire des mines. De nouvelles explosions se produisent. Elles semblent venir d'ailleurs. Quel guêpier ! La poitrine un peu oppressée, j'entends soudain très près le bruit d'une voiture. Deux phares percent le brouillard : c'est une 4 x 4 qui arrive à notre rencontre sur la piste. Un quinquagénaire style chef de chantier, ébahi de nous voir là, nous invite énergiquement à redescendre. Difficilement, nous arrivons à lui faire comprendre que nous collectionnons les cols et lui demandons où se trouve le Pédrino. C'est en bas d'où l'on vient ! Ah bon, et devant où va-t-on ? Vers le col de Valcava, à environ 1250 mètres d'altitude. Tout s'explique ! Il nous faut aller jusque là. A force d'insistance notre interlocuteur nous laisse poursuivre et nous accompagne après un demi-tour périlleux, les pneus dérapant sur les pierres roulantes. Cent mètres plus loin, nous voici à proximité de baraques de chantier où un chef d'équipe d'origine corse me donne, en français bien sûr, quelques indications sur l'itinéraire à suivre. Pendant ce temps, notre chef de chantier lorgne ma jeune compagne. Son regard caresse les joues rosies et les cheveux collés par la pluie froide. Il lui demande discrètement si nous sommes mariés : sacrés Italiens ! On nous invite gentiment à nous sécher près d'un feu, mais nous préférons continuer. |
Un kilomètre plus loin, nous sommes à nouveau hésitants quant à la route à suivre ! Nous nous adressons à deux " mammas " rentant de leurs courses, à l'approche d'un hameau. L'une d'elle empoigne énergiquement notre carte et l'étale sur mon guidon, malgré la pluie et le vent. Je frémis et la vois déjà transformée en charpie. Mais non, je réussis assez rapidement à la replier et à la glisser à nouveau sous son sac plastique protecteur. Ouf ! Elles nous offrent aimablement une tasse de café en hochant la tête devant notre apparence pitoyable. Nous déclinons la proposition, voulant au plus vite sortir de cette brume diabolique et franchir le col. Nous y arrivons quelques temps après. Le temps s'éclaircit un peu, mais nous ne pouvons guère apprécier le paysage et redescendons jusqu'au restaurant que nous avons repéré à l'aller. Marie-Annick a les pieds tellement refroidis qu'elle s'assoit dessus (après avoir enlevé ses chaussures, quand même !). Le procédé vaut ce qu'il vaut, vous pouvez essayer, quant à moi, je ne suis pas très convaincu. Réchauffés et rassasiés, nous remontons sur nos bicyclettes. La pluie s'est arrêtée et le brouillard a disparu. J'ai repéré sur la carte le Colle di Sogno. Un vague pointillé nous en sépare. Nous y arriverons pourtant sur une route revêtue après avoir contemplé une belle vallée que nous laissons sur notre gauche, sans trop y plonger. Sur une maison, un panneau signale le sommet : 954 m. La route est sans issue et pour regagner Carenno, il nous faut dévaler ce petit chemin rocailleux qui descend en zig-zag dans la forêt en passant près de cette petite chapelle. Le vieil homme qui nous l'a indiqué nous suit du regard. Les talons en avant dans la pierraille, nous freinons au maximum nos bécanes. Je vois encore quelques rideaux bouger aux fenêtres des maisons perchées sur la crête. Il ne doit pas passer beaucoup de cyclo-campeurs par ici ! Le sol est maintenant recouvert de béton en marches d'escalier. Nous pouvons nous remettre en selle, car ces marches sont longues et pas très hautes. Il faut être très vigilant et serrer les freins au maximum pour ne pas prendre de la vitesse qui serait fatale à nos jantes. Etrange revêtement, qui ne doit pas avoir d'autre but que de faciliter l'accès de la chapelle aux piétons venant du bas. Nous débouchons sur une petite route qui nous mène à Carenno. 17 heures ! Il est temps d'acheter des provisions. Nous nous arrêtons à la première épicerie et nous sommes bientôt entourés par une demi-douzaine de gamins à vélo qui cherchent obstinément à dialoguer avec nous malgré la barrière de la langue. " Fatte il giro del mondo ? " Le tour du monde, non quand même pas ! Ils nous escortent à notre départ en faisant du " wheeling ", très à la mode en Italie. L'un d'eux fait une chute sans gravité et toute la troupe s'arrête à la limite de son territoire, nous laissant partir vers d'autres chemins. Le ciel s'obscurcit à nouveau. La pluie et le vent nous accompagnent derechef, ce qui nous vaudra une installation de tente mémorable. Il fait bon être deux pour tenir la toile et...vivre tous ces instants ensemble. Che bella vita ! même sans soleil. Marie-Annick et Bernard MORIAME LILLE (59) |