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LE TOUR DE CRETE EN CYLO-CAMPING

Revue N° 11 Page 26

La Crête est un rien plus petite que la Corse avec ses 8287 km2. Elle mesure 260 kms de long, 60 kms dans sa partie la plus large et 12 kms dans sa plus étroite largeur. A égale distance de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique, la Crête est la plus méridionale des terres européennes. Coupée dans sa longueur par le 35ème parallèle, elle se trouve à la même latitude que le Golfe de Gabès.

Sa population, environ 500.000 habitants, est répartie surtout dans les villes et les villages de la côte Nord tandis que le Sud est très faiblement peuplé.

La Crête est divisée administrativement en quatre parties que nous appellerons départements. Leurs capitale, Héraklion, Agios Nikolaos, Rethimnon et la Canée. De hauts massifs dominent l'ensemble, à l'Ouest des montagnes blanches (Lefka Ori) dont les sommets sont bien souvent dentelés, au centre le Mont Ida dont le point culminant, le Psiloritis , atteint 2456 m mais constitue un massif de forme arrondie et vers l'est, les Monts Dicté, puis les montagnes de Sitia. Ces massifs sont coupés de gorges dont les plus spectaculaires sont sans nul doute, celles de Samaria.

L'île est parsemée d'innombrables grottes, plus de 3000 ont été répertoriées, de quoi réjouir les amateurs de " cyclo spéléologie ".

Il faut venir en Crête sans illusions, les routes plates sont rarissimes, pourtant la Crête représente encore un pays rêvé pour tenter une escapade à vélo.

J'ai parcouru 1.125 kms de routes et de pistes, en trois semaines, sur cette terre hospitalière, franchissant de nombreux cols mais, tous, sont restés sans nom. En effet, aucune carte ne possède des renseignements précis sur les routes, les altitudes et ces parties déprimées d'une arête montagneuse, tant recherchées par les chasseurs de cols. Aussi, je lance un appel à toutes les personnes qui possèdent de plus amples renseignements à ce sujet de bien vouloir me les communiquer, je vous en remercie par avance.

HERAKLION - KNOSSOS - ARCHANES

J'ai quitté le Pirée, crasseux et parfumé comme un port d'Orient et après avoir dormi sur la terrasse supérieure du bateau et louvoyé toute la nuit dans la constellation insulaire de l'Egée, je touche le but de mon voyage. Devant l'étrave entre le ciel et l'eau, la Crête est une épure de lignes et de volutes, puis la lumière du jour livre à mes yeux un relief solide de chaîne montagneuse me barrant l'horizon. Tout en haut de ce massif, le petit matin pose ses lueurs roses. La traversée paisible n'a en rien troublé mon estomac et tous les passagers se retrouvent sur le pont glissant d'humidité.

Voyageur anonyme parmi ces inconnus, j'écoute sans comprendre une langue étrangère, je scrute les flancs d'une île qui ne ressemble à aucun spectacle connu pour moi. Ce que je sais de la Crête, les livres me l'ont enseigné, précieux bagage certes mais parfois si éloigné de mes propres découvertes.

J'ai désiré ce contact direct pressentant qu'il m'enrichirait, je sais alors à quel point l'île livrera, peu à peu, bribe par bribe, ses visages, ses manières d'être, ses horizons et chaque fois qu'elle se dévoilera, ce sera pour me donner le goût de pénétrer un peu plus son intimité, de trouver de nouvelles raisons de m'y attacher davantage. Dans le fracas métallique de chaînes et de treuils, la rêverie prend fin, le Rethymnon accoste, la terre de Crête est là qui appelle mon pas.

Je débarque sur mon vélo et me dirige aussitôt vers Knossos après avoir flâné dans les rues pittoresques d'Héraklion. Je franchis le portail du palais royal et me laisse soudain emporter dans les vagues de touristes assoiffés de culture. Comme des troupeaux de moutons répondant à l'appel du berger, chaque groupe suit son guide. Je m'écarte le plus possible de ce piège mais c'est très difficile, je reste un instant seul, le temps d'ajuster l'objectif de mon appareil et c'est l'envahissement. C'est alors que je commence à réaliser que mon voyage ne doit surtout pas se transformer en quête éperdue de vieilles pierres. Aussi, je reprends ma route en direction d'Archanes. Le soleil est de plomb et de vastes étendues de vigne aménagées en tonnelles dominent dans ce paysage de coteaux. En songeant à ma visite du Palais de Knossos, j'ai du mal à penser à la Crête ancienne, tant elle me paraît engloutie dans une époque qui a perdu l'essentiel de son sens. On ne peut s'illusionner, trouver le moindre lien à trente siècles d'écart, entre ce monde des palais, ces femmes aux seins nus, ces porteuses de vases et les vieilles emmitouflées, des villages crétois maigres et fragiles comme des squelettes enveloppés de nuit.
Tout cet univers de fresques, de poteries, de coquillages, de poissons, d'oiseaux, de lys, tous ces dessins, ces hymnes de lignes et de formes, toutes ces choses soupçonnent une telle présence féminine, un tel parfum de femme, qu'on ne peut s'empêcher de pressentir leur influence, leur regard.

En arrivant à Archanès, le macadam s'estompe pour laisser place à une piste de pierres et de terre battue, c'est alors que je découvre la Crête privée de ses touristes, des villages dans lesquels les pierres de leurs ruelles secrètes, me livrent leurs histoires. Dans ces régions éloignées de la côte, on vit encore au ralenti, rien de comparable avec les grandes villes où tout va si vite et fait tellement de bruit, seul le cri des animaux arrive à troubler le silence divin.

Je décide de passer la nuit dans le village de Al Marina, j'interroge un Crétois assis à la terrasse d'un café pour savoir s'il est possible de camper à proximité du village, il me dit oui et m'offre un café que j'accepte bien volontiers. Malgré les barrières de la langue, j'arrive à me faire comprendre dans un anglais décousu. Pourtant, il ne faut pas s'y tromper, l'hospitalité que les Crétois pratiquent si spontanément ne signifie pas qu'ils soient dupes. Avec ce sens particulier des êtres de vieille tradition, ils savent infailliblement discerner au premier regard, l'homme qui vient à eux, le cœur gonflé du désir de les aimer, donc de les connaître, de celui dont le jugement critique est établi par avance. Le voyageur avide de contact humain de celui qui recherche surtout le vivre et le couvert facile.

Il me propose, pour abriter mon sommeil, la maison en construction de son oncle, nous nous y rendons et j'y entrepose mes affaires. Depuis mon arrivée en ces lieux, un attroupement s'est constitué autour de moi et de ma monture, je suis l'étonnement des enfants, la curiosité de ce village délaissé par les touristes.

Se prénommant Georges, mon accompagnateur m'invite à le suivre, il me conduit à sa demeure où vivent ses parents, une famille simple, dans un milieu où rien n'est de trop, où il y a juste ce qu'il faut pour vivre convenablement. Ici, le monde moderne n'a pas encore posé son empreinte.

Ce sont, je pense, les Grecs qui ont inventé cet admirable adage " rien de trop ". Cette indifférence au luxe, à l'ornement, explique l'élégance sans âge de leurs maisons blanchies à la chaux.

La mère de Georges me parle dans une langue incompréhensible pour moi, mais je finis par deviner que je suis le bienvenu et l'on m'apporte aussitôt du poisson, une omelette et du vin. Je savoure avec appétit ces délicieuses choses et le repas achevé, Georges me propose à nouveau de le suivre. Nous sortons de la maison pour nous diriger vers la salle d'un bar, nous pénétrons à l'intérieur, des chaises en bois occupées en majeure partie par des adultes et surtout des enfants, sont installées face à un grand drap blanc étendu au fond de la pièce, c'est le jour du cinéma.

On éteint les lumières et aussitôt un appareil enfermé dans une énorme boîte en bois entouré de chiffons, projette sur l'écran, dans un bruit pas possible, un western américain, sous-titré en Grec. Heureusement pour moi, c'est le genre de film qui ne nécessite pas de dialogue pour comprendre.

A la fin de cette projection fantastique, Georges me raccompagne à mon abri, nous nous séparons sur une amicale poignée de main. Me trouvant légèrement à l'écart du village, la pleine lune me fait découvrir un paysage fantomatique, une campagne baignant dans une atmosphère mystérieuse, troublée par le hurlement des chats-huants. La tête levée, je contemple un long moment la voûte céleste, tapissée d'une myriade d'étoile, puis le sommeil m'envahit, je me glisse dans mon duvet et ne tarde pas à tomber dans les bras de Morphée.

André LAURANTI

CAGNES SUR MER (06)


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