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L'INCONNU DU COL DE BRAUS

Revue N° 11 Page 34

Cette histoire, vécue par moi, absolument authentique, n'est pas d'hier, mais si elle n'est plus d'actualité en ce qui me concerne, je suis certain qu'elle peut l'être pour beaucoup d'entre vous.

Je devais avoir 16 ou 17 ans. Jeune couraillon, je filais allègrement vers Menton et rattrapais un cyclo, un " vieux " d'une trentaine d'années. Il me dit aller faire la traditionnelle " boucle de Sospel " et me propose de faire route avec lui.

N'ayant pas de but précis et ne connaissant pas encore les fameux cols, sauf de réputation, je décidais donc de faire son parcours, craignant toutefois que ce " vieillard " me retarde quelque peu...

Je montais le col de Castillon comme un avion. Jouant du 48 x 20, je faisais souffrir volontairement, je l'avoue, mon compagnon de route. De temps à autre, celui-ci me demandait de m'économiser un peu, il redoutait l'escalade du Braus.

Pauvre type qui vient se frotter à moi et veut me donner des conseils ! Il était excusable, il ne savait pas que MOI, je courais. Sur un article du journal, on avait même parlé d'espoir du cyclisme à mon endroit. Sans doute, ce modeste baladeur n'y connaissait rien au monde des courses auquel j'appartenais...

Col de Braus. Je repartais en sautillant autour de mon vélo, certain d'être admiré par mon bonhomme qui me recommandait toujours la prudence. Il commence à me courir sur le système ce type, d'ailleurs il ressemble à quoi sur son vieux clou, sa tenue anti-orthodoxe et sa musette sur le dos...et il a même des garde-boues !

Ce satané col de Braus est quand même pas mal dur...

Hum...un mauvais moment à passer vers St-Jean. Oh, rien du tout, d'ailleurs les plus grands champions ont connu eux " aussi " des défaillances. Un peu plus haut ça ira mieux...

Un peu plus haut, ça ne va pas mieux du tout. Je dois avoir un frein qui bloque. Oui, c'est bien ça, je vais le remettre en état.

Curieux, rien n'est anormal côté freins...

La suite, vous la devinez. Mon coup de pédale devint saccadé, puis il devint encore plus saccadé pour devenir " super saccadé ". Enfin ce qui devait arriver arriva. Le cycliste devint piéton. Plus que trois kilomètres à monter, Robert, tu marches un peu et hop, tu repartiras de plus belle.

Encore ces maudits trois longs kilomètres. Me revoilà en train de marcher à pied, et même en marchant le vélo est si lourd que je n'arrive plus à le pousser. D'ailleurs, il faut bien le dire, je n'arrive même plus à marcher à pied non plus...
Et l'autre ?...Il est là. L'animal, il est frais comme une rose...Il me réconforte, me donne à boire et à manger car, bien entendu, je n'ai rien dans les poches et pas de bidon.

Il pousse mon vélo. J'ai du mal à suivre... Où me suis-je fourré ?...Le soleil descendait terriblement, les ombres devenaient de plus en plus longues.

Finalement, parce que tout fini quand même par arriver, le sommet fut atteint. Mon compagnon de route ne m'avait pas quitté d'une semelle, plein de prévenances et d'encouragements.

Je remontais sur le vélo : la descente commençait mal. Endolori des orteils aux cheveux, il me semblait que ma monture était tour à tour trop grande ou trop petite, que ma position n'était pas bonne. Et ces maudits virages qui n'étaient même plus ronds !...

La nuit arrivait. Au premier village, mon bon samaritain me fit servir de quoi me rassasier. Il a payé car, bien entendu, je n'avais pas le moindre sou sur moi. Il me demanda mon adresse pour aller rassurer mes parents qui devaient commencer à se faire des cheveux blancs. Alors que je croquais à pleines dents les victuailles offertes, il est parti à fond, après m'avoir recommandé la prudence...

Après avoir bien rempli ma panse, ça allait beaucoup mieux et j'ai pu, sans autre problème, rejoindre ma famille qui avait été rassurée par ce brave homme...

Ami, cette histoire a plus de trente ans. Je n'ai jamais eu l'occasion de te dire " merci ". Jamais plus, je ne t'ai rencontré et ton nom, je l'ignore.

Peut-être es-tu un membre de notre confrérie ?...Tu pourrais avoir dans les 65 ans à présent et être toujours amoureux de vélo-montagne comme je t'ai connu.

Alors, si tu lis ces lignes, sois enfin remercié comme il se doit et sache que ce jour-là, j'ai appris beaucoup plus physiquement et moralement en quelques heures que durant plusieurs années, avant et après cet événement.

Depuis, le Braus, je l'ai monté maintes fois. Récemment encore, je l'ai attaqué avec un bon nombre de kilomètres dans les jambes, pourtant, malgré ma cinquantaine bien sonnée, mes cheveux blancs et mon 30 x 22, je peux me vanter d'être monté plus vite et en meilleur état que lors de mes 17 ans...

...un peu grâce à toi cher ami inconnu.

Robert BELLONI

ANTIBES (06)


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