Page 43b Sommaire de la revue N° 11 Page 45

TROP BREVE RENCONTRE

Revue N° 11 Page 44

Tout incitait à la détente en cette belle soirée de juillet au Pays Basque. Après une chaude journée (rare en 1978) la fraîcheur gagnait le village et la plupart des pensionnaires de l'hôtel s'attardaient à la terrasse.

Seuls deux d'entre eux ne participaient pas au farniente et s'agitaient au contraire en allées et venues continuelles de leur chambre à la voiture, voiture sur laquelle, bien avant le dîner, 2 vélos étaient installés.

Pour ces deux-là, votre serviteur et son fils Rémy (pas encore 100 cols, 40% seulement) pas question de s'abandonner à la flânerie ; dans quelques heures à 75 km de là, c'est le départ, très matinal de la R.C.P. et il s'agit d'être fin prêt car la journée sera longue avec ce parcours record.

Ravitaillement, vêtements, tout est entassé dans le coffre, y compris la pèlerine de pluie...car depuis un certain CDV elle est là sur le porte-bagages dans les grandes occasions...et avec la RCP, on ne sait jamais, surtout en cet été pourri.

L'un des clients de l'hôtel, pas encore familier car arrivé depuis peu, semble s'intéresser à notre manège après un coup d'œil sur nos montures ; la conversation est engagée et rapidement il est au courant de notre projet.

- Vous allez faire la randonnée des cols pyrénéens m'a dit votre fils.

- Et houi !...enfin on va essayer, mais ce sera dur car, cette année, le parcours est un peu long à mon goût, et comme la forme n'est pas brillante...mais vous êtes cyclo vous aussi ?

- Oui je randonne, je suis de Lyon et suis venu en plusieurs étapes ; j'ai le temps, je suis à la retraite depuis cette année (veinard, il est à peu près de mon âge).

Et l'entretien accroche de plus en plus avec ce cyclo inconnu qui mange depuis la veille au soir à une table voisine de la nôtre, sans que nous ayons jusqu'ici échangé la moindre parole, rien ne le distinguait des autres clients de l'hôtel.

J'apprends ainsi qu'il aime la montagne lui aussi et qu'il a choisi un parcours assez bosselé pour venir jusque là, qu'il est allé plusieurs fois en Espagne et est même monté au point culminant (tiens, tiens !). Le lendemain, plutôt que de redescendre la vallée, il rejoindra St Jean Pied de Port en traversant la forêt d'Irety, une route admirable mais fortement déconseillée aux amateurs de 52 x 13 et de boyaux

Il a sillonné bien sûr toutes les routes pentues de la région lyonnaise et franchi de nombreux cols. L'envie me démange de lui parler des " Cents Cols ", après tout, ça pourrait peut-être l'intéresser ; mais je me retiens car ma femme va encore me charrier ; c'est dur de se taire et ça me travaille de plus en plus.

Au fait, vous connaissez peut-être le Club des Cents Cols ?...Je n'en crois pas mes oreilles, car ce n'est pas moi qui ai posé la question, mais lui ! Du coup, nouvelle escalade dans la conversation car il en est évidemment et même en très bonne place puisqu'il s'agit de René Lorimey l'un des tous premiers dans l'ordre chronologique et aussi pour le bilan général.
Nous voilà donc repartis de plus belle à travers cols et escalades, pas pour longtemps hélas car l'heure tourne et il nous faut rejoindre Pau.

Même pas le temps de prendre un pot ensemble pour mieux faire connaissance. Les servitudes du cyclotouriste sont parfois bien amères.

Tout autant que la rencontre, c'est je crois sa conclusion inachevée qui m'a le plus marqué et j'ai eu tout le loisir d'y penser le lendemain lors d'une RCP mémorable.

Comme je vous enviais, René Lorimey, au petit matin alors que je souffrais déjà dans la Hourquette d'Ancizan, malgré le réconfort d'un paysage magnifique, après 5 heures de nuit à tirer la dynamo, et que je vous devinais dans Orgembidesla. Je regrettais de ne pouvoir y être moi-aussi, même si la pente y est plus raide...et les troupeaux plus nombreux ; et ensuite Degargin et Echigoin pour souffler un peu avant la descente défoncée où il faut ouvrir l'œil.

Ce que je vous enviais surtout je crois, c'est la liberté, liberté de faire un parcours préparé par vous-même, liberté de vous arrêter lorsque l'envie vous en prenait, alors que j'étais, moi, embarqué dans une galère à la limite du raisonnable.

J'ai rarement ressenti, autant que ce jour-là, le côté un peu artificiel de certaines manifestations officielles plus proches en vérité d'une épreuve par élimination que d'une aimable randonnée.

Bien sûr, il est tentant de se laisser séduire par tous ces circuits, surtout lorsqu'ils accumulent les difficultés et qu'ils se déroulent dans les plus beaux paysages que l'on puisse trouver : la MONTAGNE. Sentiment accentué lorsqu'on n'est plus tout jeune et que l'on veut non pas rattraper le temps perdu, mais ne plus en perdre désormais après une pause de vingt ans.

Et puis, pour tous ces gens de la plaine, c'est déjà toute une expédition pour quitter la Beauce et retrouver les bosses ; alors on veut mettre les bouchées doubles et l'on tombe plus ou moins dans la chasse aux cols. Qui, à un moment ou à un autre, ne l'a pas fait plus ou moins ? Mais vite, il faut réagir et trouver le second souffle et, l'esprit dégagé, rouler surtout pour son plaisir...mais toujours en terrain accidenté.

Alors, merci René Lorimey, votre rencontre m'a rappelé à l'ordre. Sans pour autant supprimer totalement certains projets qui me tiennent à cœur (c'est maintenant ou jamais) je vais faire une place plus grande désormais au tourisme à vélo.

Pierre CORDURIER

ETRECHY (91)




P.S.- Au fait, il n'y a pas de col dans la région, mais quelques bonnes côtes quand même ; s'il vous arrive d'y passer ne manquez pas de venir à la maison ; nous pourrons alors prendre notre temps pour continuer la conversation !


Page 43b Sommaire de la revue N° 11 Page 45