Page 45 Sommaire de la revue N° 11 Page 48

L'AUTRICHE OU LES MEMOIRES D'UN HYDROPHILE

Revue N° 11 Page 46

Le mois de juillet 1980 a vu trois cyclotouristes Versaillais vadrouiller en Autriche : Bénédicte, Bertrand et moi-même. Tous membres du Club des Cents Cols, nous nous sommes laissés tenter par les sommets Outre-Rhin, peut-être n'aurions-nous pas dû, ou alors choisir une autre époque.

21 journées consécutivement arrosées avec au minimum 1 heure de pluie, tel a été le début de notre périple. Nous avions pourtant été prévenus de l'humidité des lieux, par certains articles parus dans la présente revue, et par des témoignages d'amis. Nous, naïfs, avons pensé avoir plus de chance que nos prédécesseurs, pauvres de nous, si nous avions su ! Ceux qui pratiquent le cyclotourisme connaissent bien l'agrément de se voir offrir la douche, le soir à l'étape, mais pas à longueur de journée ! Aussi un soir sur trois, pour nous sécher un peu, nous abandonnions la tente pour nous réfugier dans une des nombreuses chambres chez l'habitant, que l'on peut louer en ces pays. Pas fous les autochtones, ils connaissent bien le climat, et ils ont vite fait de voir les avantages financiers qu'ils peuvent en retirer ! Mais là je suis méchant car dans 90 % des cas, nous avons été très bien reçus et nous avons pu connaître et comparer les habitudes et habitats ! Connaissez-vous beaucoup de gens capables de sortir leur voiture du garage pour y céder la place à nos si chères machines ! Ou encore de vider le coffre à bois de la cuisinière pour y mettre vos " chaussures " à sécher ? (Mais peut-on encore appeler chaussures ces bouts de cuir racornis et informes ?).

Quel plaisir, après une journée sous la pluie, de glisser nos pieds frigorifiés sous la couette, qui est la couverture typique, tout en regardant les éternels nuages se déchirer sur les crêtes alentour...

Quelle angoisse le matin quand vous découvrez que, horreur, il pleut, que peu de temps après la foudre s'abat à 200 m de vous sur un tas de foin, qui a donc miraculeusement séché...

Et vous voilà remontant un petit torrent de vaguelettes, descendant la route de Gailbergsattel, vous basculez ensuite sur Oberdrauburg avec 9 km de descente sans desserrer les freins en vous demandant comment vous stopperiez votre vélo si ??? Et pourtant nous avons des freins de tandem !

En haut de l'Iselberg Pas, deux cyclos-campeurs locaux (les seuls que nous verrons, chargés évidemment à l'arrière) nous apprennent que la veille un Allemand a passé le Grossglockner à pied car la neige recouvrait la chaussée ! Vous qui devez le gravir le lendemain, vous accueillez la nouvelle avec l'enthousiasme en berne et vous commencez à transpirer malgré les 9° qu'affiche le thermomètre de bord.

Mais nous gravirons la célèbre route sans problème, avec même du beau temps le matin. Nous y rencontrons 30 vélos, tous chargés : une large majorité d'Anglais, quelques Hollandais, deux Américains... et trois excentriques français ayant toutes les peines du monde à expliquer, en jonglant avec l'allemand et l'anglais, pourquoi les grosses sacoches sont à l'avant !

Plus tard, à St Johann im Tyrol nous restons deux jours avec l'espoir (déçu) de voir les sommets des " Kaisergebirge ", ces célèbres montagnes dont nous serons privés.

Ayant fait incursion en Allemagne, nous écumons les châteaux royaux de Louis II de Bavière, dont le plus renommé (Neuschwanstein) accueille 8000 touristes par jour, soit concrètement 1 h 1/4 de queue pour 20 minutes de visite !!! Mais quelle splendeur !
Nous voyons un jeune handicapé physique, ayant choisi le même moyen de transport que nous, vaincre le Timmeljoch avec ses 12% et ses 2495 mètres, un grand bravo et un bel exemple de courage et de volonté pour beaucoup, tenir le guidon d'une main ne devait pas être évident, surtout quand on connaît la descente en territoire italien.

Deux jours après nous gravissons le Stelvio sous la neige qui tombe et blanchit le paysage de la cote 1800 jusqu'au sommet 2760. Cela fait drôle d'arriver au sommet d'un col en cuissard et maillot manches courtes alors que tout le monde ici est en anorak, grosses chaussures et skis sur l'épaule, car nous venons de pénétrer dans une station de ski d'été !

Dans la descente de la si jolie Silvretta, nous accusons 700 mètres à 90 km/h, il faut dire que la route est droite et très bien goudronnée.

Nous nous permettons un aller-retour à l'Arlberg Pass malgré ses si nombreuses voitures. Et pourtant que n'avions nous pas fait pour les éviter ces calamités : ainsi nous avons dû, en empruntant des routes définies " carrossables " traverser un torrent sur un pont de chemin de fer, enjamber des canaux d'irrigation lorsque le chemin que nous suivions s'est arrêté en plein champ à 2 km du village convoité, passer en pleine montagne dans un petit tunnel de 1 mètre de large, longer la paroi rocheuse avec l'eau qui descend du ciel, de la montagne sur le sentier même car un ruisseau suit le " lit du sentier ". Que dire de la tête des gens rencontrés dans de tels endroits, sinon qu'après m'avoir occasionnellement indiqué la " route ", certains parurent rassurés de savoir que nous étions...Franzozen ! Que dire des pourcentages tant sur ces sentiers montagnards que sur les routes alors que nous avons gravi 700 m à 24 % peu après Berchesgaden, vu du...33 % et que descendre un chemin boueux du même acabit avec 7 ° C nous a donné mal aux doigts, aux mains, elles qui, crispées sur les freins, retenaient nos cent kilos sous les regards amusés des promeneurs en bottes et ciré ! (un " truc " qui n'est pas mal dans ces cas " délicats ", c'est la courroie de cale-pieds qui tient serré le frein pendant que la main se repose). On comprend alors peut-être mieux que les Autrichiens ne soient pas très attirés par le vélo surtout que les modèles vendus en série sont les mêmes qu'en France, point de vue développements, voire pire !

Combien avons-nous "visité" de granges ?

Combien de grammes d'eau avons-nous traînés avec notre équipage ? Et envers et contre tout, nous n'avons pas eu une seule crevaison à déplorer de tout le parcours !

Toujours est-il que nous avons néanmoins parcouru 1800 km, gravi 36 cols, pris 360 photos (à deux) et... bronzé une semaine au soleil ! Nous n'avons dons pas trop mal choisi notre époque jusqu'à Radstadt, nos hôtes nous ont appris n'avoir vu que 4 fois le soleil en Juin.

Malgré toute cette pluie, les merveilles tant architecturales que naturelles que nous avons admirées là-bas, me permettent de dire que j'y retournerai un jour.

Par cet article, je voudrais encore saluer mes camarades que j'avais entraînés dans cette euh ! croisière. Mais heureusement l'eau s'évapore mais pas les souvenirs.

Jean-Pierre RABINE

VERSAILLE (78)


Page 45 Sommaire de la revue N° 11 Page 48