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DETOURS EN UBAYE

Revue N° 11 Page 51

Il vibrait de tout son corps lorsqu'il en parlait, avec un rien d'inquiétude dans le regard, l'ami Jacques, car le sujet était d'importance pour un Cent Cols qui a établi son camp de base non loin d'un col nommé PARPAILLON.

Nous y étions et le nom était jeté, l'objectif cerné, la voie d'accès repérée finement sur la carte au 1/50 000 mais auparavant , il restait à se persuader qu'il n'était pas un obstacle insurmontable car le poids de l'histoire se faisait bien présent.

Quand on connaît la somme de récits qui l'entoure, le magnifie, le décrivant comme un obstacle très respectable, il entre en vous comme une petite pointe d'inquiétude modulée par l'expérience acquise au fil des routes sans cesse recommencées. Et puis à grands coups d'amitié émaillée d'une certaine complicité, qui laisse présager que la solidarité n'est pas un vain mot, cet objectif vous devient familier. Vous l'imaginez comme une belle montagne, d'abord boisée puis allant plus avant, elle livrera une partie de ses secrets, une à une ses beautés et comme une femme elle vous laissera découvrir ses atours les plus précieux.

Comme des amants pour qui l'amour ne se résout qu'à une manœuvre d'abordage, nous l'approchons avec un léger pincement au cœur, une retenue que nous inspirent le fort pourcentage et la fin d'une nuit tourmentée, peuplée de rêves agités.

Le PARPAILLON au jour naissant, c'est un festin d'odeurs dans lequel se mêlent harmonieusement le serpolet et le thym sauvage, tels les violons d'un orchestre symphonique soutenant la fugace impression d'être sur une autre planète, tellement ces chocs olfactifs et visuels vous titillent allègrement toutes les cellules de votre corps. C'est l'Italie ! le vin ! j'ai envie d'écrire l'amour ! mais je ne sais si cela convient, peut-être ?, car ces moments là étaient d'une telle intensité que je persiste et persifle au risque d'entendre dire un jour que mes états d'âme dépassent quelque peu la raison.

Pourtant devant la chapelle Ste Anne, nous fûmes surpris par un lever du jour comme on en a toujours rêvé, un ciel pur, une légère brise qui rafraîchit la sueur frontale, et le sentiment d'avoir devant soi des instants de vie inoubliables.

Nous pénétrons dans le bois du BOUSQUETON constitué de pins Cembro d'une majesté qui vous inspire l'humilité devant tant de grâce et d'équilicre naturel. La lumière naissante pénètre à travers les résineux en inscrivant sur notre chemin une " sérigraphie " du meilleur effet.

Atteignant le pont BERARD, nous faisons un premier point et quelques photos pour graver sur l'image nos impressions que nous sentons déjà très fortes.
Aux abords de la cabane du PARPAILLON, nous vîmes les premiers troupeaux encore engourdis et rassemblés aux côtés d'un chien veillant non loin d'eux ; les premières marmottes aussi, d'abord fières, nous saluant d'un sifflet court et strident puis, au fil de la grimpée, se faisant moins farouches, restant tout simplement érigées, portant sur nos machines et nous-mêmes des regards débonnaires. Après tout, n'étions-nous pas aussi des bipèdes affublés de drôles de machines avec la prétention de se hisser sur le toit de leur domicile ?

Sur des lacets réguliers, nous nous élevions à une allure qui ne ressemblait en rien à celle que nous adoptons d'ordinaire sur la route car il faut bien composer avec les paramètres de la randonnée cyclo-muletière qui sont : progression et recherche constante d'équilibre tellement le terrain est irrégulier. Mais quelle belle école ce serait pour tous les routiers qui éprouvent les pires difficultés à maîtriser leur machine sur des terrains souvent bien plus aisés !

Puis vint le soleil, ce fut un cadeau, un Noël avec de la neige, des sabots, un feu, des calissons, du pain d'épices, des oranges, une joie sans mot, nous étions d'ailleurs éloignés de quelques hectomètres, mais d'un commun accord, comme deux gamins, nous avons disposé nos bicyclettes en faisceaux, nous sommes là, plantés face au soleil devant cette merveille, nos yeux n'en peuvent plus et se repaissent d'images de paix et de bonheur simple.

Nous n'avons presque rien à nous dire mais devant les yeux de Jacques, comme une lueur de bonheur, d'amitié partagée et au loin l'aurore d'une complicité qui vient de naître.

Sacré PARPAILLON ! Seulement un col me direz-vous, j'objecterai seulement en vous disant : parcourez-le, il m'étonnerait qu'il ne vous laisse qu'un souvenir sans valeur ou tout au plus une impression vague.

Devant le tunnel, nous fixons de nouveau nos impressions sur la pellicule, mais comme Jacques est un puriste, nous gravissons la raillère au-dessus du tunnel pour accéder au col. Là, Messieurs, Mesdames, les cyclos blasés de tous poils, de toutes fédés, de tous partis, de toutes confessions, je souhaite qu'un jour vous puissiez vivre comme nous ce site d'une aridité lunaire baigné dans la lumière de la haute UBAYE.

Les qualificatifs les plus prestigieux n'y suffiraient pas, je préfère de loin une invite qui vous mènera sur la trace de ce sol dont le souvenir restera longtemps gravé dans nos mémoires.

Jacques BORDENAVE et Jean-Jacques LABADIE


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