Après une semaine Fédérale en Alsace bien remplie, il avait été décidé, qu'en famille, nous irions nous reposer dans ce havre du tourisme que constituent les Baléares. Du soleil garanti cent pour cent. Un peu de farniente de temps à autre, même pour un sportif, n'est pas désagréable. Mais le démon vélocipédique montagnard avait déjà fait entendre sa voix chaude et persuasive : dès la réservation j'avais acheté une carte détaillée de l'île de Majorque pour le cas où il y aurait, non loin de mon lieu de séjour, quelques cols en manque de cyclistes (car là-bas, comme ailleurs, c'est plutôt le règne de dame automobile et heureusement, plus originalement et écologiquement... du vespa qui eut en son temps, en France, il y a déjà plus de vingt ans, son heure de gloire et un franc succès surtout auprès des jeunes. Que de souvenirs... mais tel n'est pas mon propos). Bien m'en avait pris : près de Soller, où je devais séjourner, s'élevait - le mot, on le verra, n'est pas exagéré - deux cols que je me promis d'escalader à la première occasion. Il n'était pas question de prendre mon vélo par avion charter, mais la publicité me promettait des bicyclettes de location. Alors, pas de problème, au moins à priori. En fait, j'ai pu vérifier par moi-même, ce que je savais depuis longtemps, qu'il ne faut pas confondre vélo, bicyclette et mini-vélo. Car, pour louer des mini-vélos, très facile; pour des bicyclettes très ordinaires, sans dérailleur, il fallait y regarder à trois fois et quant aux vélos dignes de ce nom, (je ne parle pas d'un super) pas un dans la contrée. Je n'allais tout de même pas faire un col avec un "bâtard", d'autant que j'ai l'habitude d'utiliser "la belle mécanique". De plus, ce n'était pas une question de snobisme ou de standing mais de possibilité ou plutôt d'impossibilité. Car même s'il ne s'agissait pas de grimper un Tourmalet ou Izoard, la route à emprunter ne ressemblait pas davantage aux Champs-Elysées (même s'ils comptent pour le grand prix de la montagne) ou à un "faux col", indigne d'une vulgaire côte. Me voilà donc désespéré. Deux cols si près, si tentants, deux cols de plus à gravir et à marquer sur ma liste... bref, tous les membres des "Cent Cols" me comprennent aisément, d'autant que l'occasion, peut-être, ne se renouvellerait plus. Heureusement, l'animateur du Centre de Vacances où j'étais hébergé finit par me trouver un "bon vélo tout neuf". Quand je le vis, mes illusions en prirent un sacré coup : c'était bien un vélo neuf, quoique poussiéreux, mais équipé de pneus demi-ballons, qui pesait bien le double du mien, sans cale-pied. Cette déception fut vite dissipée cependant, quand je constatais et c'était bien là l'essentiel, qu'il était muni d'un double plateau et, donc, d'un développement sinon idéal du moins tout à fait convenable (40 x 24). Première matinée : Coll de Soller 496 m. Bien que les Baléares soient espagnoles, on y parle surtout le majorquin qui est plus proche du catalan que de l'espagnol lui-même. C'est pour cela que "Col" se dit non pas "Puerto" mais "Coll". La route était étroite, je la connaissais pour l'avoir déjà faite en car à mon arrivée. Elle monte à peu près son six pour cent régulièrement pendant 8 km et n'en finit pas de tourner avec ses virages en épingles qui sont, paraît-il, en comptant la montée et la descente, au nombre de soixante-trois. On part de Soller et de sa place voisine pour redescendre jusqu'à Palma. Je ferai demi-tour au sommet. Les points de vue sur Soller sont nombreux et sauvages et, au sommet, l'on domine la plaine et la grande ville de Palma. |
Deuxième journée : le Coll de Puig Mayor, 1 036 mètres, le plus haut de Majorque comme l'indique son nom, une quinzaine de km de bonne montée, un peu plus rude que la veille, surtout au départ, mais la route est plus large et moins tortueuse. Les panoramas sont ici grandioses et magnifiques, surtout au sommet. A gauche, en montant, depuis le mirador Ses Basques, on domine toute la baie de Puerto Soller et sa tour génoise au pied de laquelle j'étais monté quelques jours auparavant. Le Col se termine par un tunnel et aussitôt sur la droite se trouve une réserve d'eau, qui, en ce moment, est pratiquement à sec ; il paraît qu'il n'a pas vraiment plu depuis un an et demi. Un peu plus bas, au pied du Pic du Puig Mayor, s'étend une zone militaire. Comme je suis en train de musarder, ne voilà-t-il pas que je suis interpellé par un soldat zélé, à qui, dans mon espagnol rudimentaire, j'essaie de faire comprendre que je fais du tourisme et non de l'espionnage. Avec mon vélo grand tourisme, je ne croyais pas ressembler, mais alors pas du tout, à James Bond. Même pas être tranquille en pareil endroit, c'est un comble! En redescendant sur Soller, j'ai pris un petit chemin sur la gauche qui menait au Monasterio Santa Maria S'Olivar (des Oliviers) le bien nommé, car il est vraiment ceint d'oliviers, Le monastère est situé non loin de la grande route mais avant d'y arriver, j'ai été aussitôt frappé par une clôture bizarre : le mur est surmonté de petits triangles de pierre, percés au centre en triangles, et espacés de quelques mètres entre eux. A l'intérieur de la clôture, une chapelle ornée des mêmes triangles percés. Et dans la chapelle fermée, j'ai pu entrevoir et photographier par un trou de la porte, la statue de la Vierge et d'une sainte. En effet, j'apprendrai le lendemain par le patron d'un bistrot voisin qu'il s'agit d'une chapelle surnommée la Chapelle de Lourdes, de laquelle deux fois l'an, part un pèlerinage pour la cité mariale française. Quelle coïncidence pour moi qui habite dans les environs de Lourdes ! Il y a des Cols qui restent gravés dans la mémoire plus que d'autres. Je crois que ces deux cols majorquins seront de ceux-là. Bien sûr, je n'ai pas éprouvé le même enthousiasme, la même fierté que lorsque j'ai escaladé quelques grands 2 000 m. Mais, à cause de la beauté sauvage des paysages, d'un certain caractère exotique et anecdotique, ils figureront en bonne place au panthéon de mes souvenirs cyclotouristes. François BONNAC TARBES (65) |