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Pays basque vert et... blanc

Revue N° 15 Page 7

Espelette, dix heures du matin. Il pleut en ce six avril. Les façades blanches et rayées de vert, rouge ou brun dégoulinent, le départ s'effectue sous la cape. Mais un dicton ne dit-il pas : " Pluie du matin, prends ton bâton pèlerin ".

Notre premier objectif : la boucle qui, par le col des trois croix, contourne le massif de l'Atchoulegui et aboutit au col de Pinodiéta . Les cinq ou six premiers kilomètres sont asphaltés, ensuite débute le chemin qui, très pentu par endroits et rendu glissant par les pluies des derniers jours, nous oblige souvent à pousser les vélos. Après un premier petit col, équipé de caches pour la chasse aux oiseaux migrateurs, nous nous rendons, en aller et retour, à celui de Zaharreteaco. Dans sa montée la pluie se transforme en neige à l'altitude de cinq cent mètres environ. Au sommet une fine couche recouvre la végétation. Vite une photo ! En effet, la journée ne pourra, pensons-nous, qu'être plus douce et faire disparaître toute trace blanche. Nous atteignons ensuite le col des Trois Croix en ayant pu constater au passage que les Basques ne parlent pas tous français. Seule la carte sera utile. Après avoir retrouvé le goudron au col de Pinodiéta, nous poussons jusqu'à Ainhoa. Tous les cafés étant en même temps restaurants, nous nous replions finalement sous le lavoir pour prendre notre pique-nique. Une petite demi-heure suffit, le froid nous amène à faire vite.

Nous voilà repartis, cap sur l'Espagne. Les douaniers du poste de Dancharia préfèrent leur bureau, probablement bien chauffé, au contrôle des pièces d'identité. Poussés par le vent du nord, nous avalons facilement le Puerto d'Extondo, et un plaisir ne venant jamais seul (autre dicton ?) le col suivant indiqué sur la carte comme non revêtu est en fait bien goudronné. C'est de bonne augure pour la suite, enfin... presque, car deux autres normalement sur une route sont sur un chemin certes empierré mais les pierres sont tellement ressorties que l'on se croirait dans le lit d'un torrent. Les dix kilomètres de ces collados de Meaxa et d'Achuela nous retiennent une heure et demie. De plus, aux alentours de six cent mètres, nous avons rendez-vous, ça devient une habitude, avec la neige qui tombe vraiment dru. Tout prés du sommet, 754 mètres, s'y ajoute même une brume épaisse. Il est donc assez logique que dans la descente, au détour d'un virage, les quatre trialistes n'aient pas compris ce que l'on pouvaient bien faire là, à slalomer entre pierres et flaques d'eau. Leurs visages étaient vraiment expressifs. Cette présence fugitive nous réconforte un peu car l'ambiance est plutôt oppressante sur ce chemin de montagne dépourvu d'habitation. Retour au goudron et à la civilisation avec un " dur, dur ! " lancé par un breton (56=Morbihan) qui photographie sa voiture, cliché inoubliable, dans laquelle sont calfeutrés femmes et enfants. Nouveaux regards étonnés.

L'heure avance. Il faut regagner la France. Pour ce faire, nous avons choisi un itinéraire cyclo-muletier par une route de crête et le col-frontière de Gorospil. Un problème se pose : le brouillard de plus en plus dense et la neige nous privent d'un allié essentiel dans ce type de trajet, la vue du relief environnant. Nous tentons cependant notre chance en nous repérant avec les courbes de niveau (la carte 1/25000e n'est vraiment pas de trop) et prêts à rebrousser chemin en cas de difficultés. Par chance le chemin est bien entretenu. Pendant quelques instants, un petit troupeau de pottocks nous accompagne. Plusieurs embranchements que nous retenons avec soin, pensant à un éventuel demi-tour, nous font douter de notre " route ".

La visibilité est inférieure à cinquante mètres. Le vent du nord nous envoie des rafales de neige qui nous cinglent le visage. Nous ne sommes vraiment sûrs de rien quand nous aboutissons à une esplanade qui ressemble beaucoup au passage-frontière tel qu'il se présente sur la carte. Nous voilà à la recherche de la borne 76 qui nous délivrerait du dilemme, mais de borne point ! du brouillard, rien que du brouillard. Faut-il revenir sur nos pas ? Alors que nous tergiversons, une trouée lumineuse et salvatrice déchire ce voile opaque et fait apparaître en contrebas le chemin qui continue vers des pâturages et une ferme. Nous nous accordons dix minutes pour la rejoindre et y demander notre chemin si possible ; pourrons-nous nous faire comprendre ? Peut-être, Alex possède quelques rudiments d'espagnol.

Peu de temps après, le miracle s'opère sous la forme d'une conversation avec un montagnard basque qui ne semble pas autrement surpris - il en a sûrement vu d'autres si prés de la frontière - de nous voir sortir de la brume.

- " Es un mal tiempo para se promener " lance-t-il , dans son jargon, à Alex qui s'approche.

- " Oui...parlez-vous français ? "

- " Un poco "

- " Où sommes-nous ? "

- " Aqui, en Francia, là ", en désignant Pierrette restée à cinquante mètres sur le chemin, " en España ".

- " Et le col de Mehatché ? "

- " Aqui " répond-il, en indiquant une route goudronnée à peu de distance. Ces paroles nous procurent un vif soulagement et, après le passage des vélos par dessus la barrière du champ, hommes et montures se retrouvent en France. Nous nous accordons quelques moments de répit pour nous sustenter et nous réchauffer mains et pieds engourdis par le froid. Il neige toujours.

Rassurés quant à notre itinéraire, la suite de la randonnée nous paraîtra beaucoup plus aisée. Pourtant le col de Mehatché ne se laisse pas vaincre facilement avec ses pentes proches de 20 %, pourtant dans les deux derniers cyclo-muletiers, la visibilité est inférieure à vingt mètres et la couche de neige proche de dix centimètres, pourtant le spectacle du cadavre d'un veau, gisant dans un fossé à la suite probablement d'une chute accidentelle, n'est pas très agréable ; pourtant la descente du col de Mehatché est rendue très délicate par les pourcentages importants, la chaussée glissante et des freins de plus en plus défaillants ; et pourtant enfin, un malencontreux détour de quelques kilomètres prive Pierrette du B.P.F. d'Itxassou. Qu'à cela ne tienne, nous reviendrons !...en espérant un temps plus clément car nous n'avons qu'entrevu les verts vallonnements tachetés d'habitations blanches aux toits rouges du pays basque.

Pierrette et Alex Poyer


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