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Peur au Parpaillon

Revue N° 15 Page 15

20 juillet 85. Le réveil sonne. Un coup d'œil à la fenêtre nous laisse présumer une magnifique journée d'été. C'est la douce fébrilité du départ, dans la fraîcheur matinale...

Avec Pierre, nous avons bien préparé notre affaire. Il s'est enfin décidé à monter un triple plateau (32x26) et, hier soir, dans notre gîte de St Sauveur, j'ai changé nos couronnes pour une 24 dents et équipé ma jante arrière d'un boyau de cross ! Les 10 km de chemin non goudronnés nous inquiètent un peu et nous partons avec 2 boyaux de rechange chacun ! il est des cols qui ont leur réputation !

Quel plaisir de pédaler dans la fraîcheur d'une belle journée qui va naître. Nous montons les premiers kilomètres à l'ombre de la vallée dominée par la forêt de Méale. A la sortie de Praveyral nous rattrapons un berger qui conduit ses quelques brebis vers la montagne. Nous entamons la conversation... et le casse-croûte car, tout à l'heure dans la pierraille, nous aurons besoin de toutes nos forces. Nous laissons Crévoux sur la droite. Il est plus logique de signer le livre d'or qui s'y trouve à notre retour... Un pont enjambe le torrent. Le goudron laisse la place aux cailloux. Nous y voilà ! Dérailleurs tout à gauche, les mains sur les cocottes, nous débutons prudemment en danseuse. Altitude 1660 m - Pente 12 % - Objectif 2645 m.

Assis, la roue arrière adhère mieux, mais comment trouver un équilibre sur ces pierres ? Le funambule n'est-il pas debout ?

La chaleur pointe au nez, et conjuguée à nos efforts nous continuons l'ascension torse nu. Nous rions à la pensée du spectacle que nous pourrions offrir aux passants... s'il y en avait : cuissards, bretelles noires et torses blancs assortis au bob ! Pierre fait quelques sauts de cabri pour sortir sa roue avant de l'ornière. Des grappes de papillons s'envolent à notre passage.

Pour me délivrer des cailloux, je tente une escapade à travers champs. Hélas, mes jantes étroites s'enfoncent dans l'herbe molle et freinent ma progression. Quelques brebis égarées broutent silencieusement. Plus haut, nous rencontrons le berger, son troupeau et ses chiens noirs. " On les récupèrera ce soir en descendant " nous dit-il, aucunement inquiet de les laisser errer à plusieurs centaines de mètres.

Vers 2300 m, les prés laissent la place aux rochers. L'air vif nous oblige à remettre nos maillots. Nous suivons le torrent du Crévoux. Une marmotte court sur l'autre versant. Nous en surprenons une autre au passage du gué. Les gentianes font leur apparition. Nous pensons que le tunnel est proche, et à chaque détour de virage, nous croyons l'apercevoir.

Le voilà enfin ! C'est fini. Le Parpaillon est vaincu. Les vélos posés contre un névé à l'entrée du tunnel, nous contemplons le panorama.

Pierre propose de traverser le tunnel pour admirer l'autre versant. Il fait froid dans l'obscurité. Et la sortie, petite boule de lumière, nous éblouit. Nous pataugeons les pieds dans l'eau glacée. J'abandonne et fais demi-tour.

Qu'importe le panorama sur l'autre versant, l'objectif est atteint... Pierre persiste et arrive au bout du tunnel. Mais que fait-il ? Pourquoi ferme-t-il le lourd portail ? voilà, cette fois je suis dans le noir complet ! Mais que crie-t-il ? Au secours ? Que diable ! Il a encore trouvé une nouvelle farce, me dis-je en continuant mon bonhomme de chemin vers le soleil. Le doute me prend, ravivé par la persistance de ses appels. Je fais à nouveau demi-tour vers la sortie obstruée, et je lui crie : " Ouvre le portail ! Je n'y vois rien ! " Mais, pour toute réponse, il continue d'appeler à l'aide. Je termine en courant, poussant le vélo dans les flaques d'eau froide, au risque de tomber.

" J'ai le bras coincé entre les deux battants du portail ! Délivre-moi ! " s'écrie-t-il. Je tire, je pousse, rien à faire, le portail ne veut pas s'ouvrir ! Pierre souffre, sa montre s'est brisée, son poignet enfle. " Fais quelque chose ! " s'exclame-t-il !

J'essaye en vain d'enfoncer une pierre entre les 2 battants ! Prends le cadre du vélo pour faire levier, mais fais quelque chose ! " s'écrie-t-il.

A grands coups de pied, j'enfonce sa roue avant dans l'entrebaillement du portail, soulageant son poignet prisonnier. Mais impossible de le libérer, sa main est toujours de l'autre côté. Il a froid maintenant. Nous sommes seuls dans le noir. Comment faire ?

Tout d'un coup nous découvrons dans le portail, une porte. Je l'ouvre et passe de l'autre côté de la montagne, baigné par le soleil. Je cours dans tous les sens à la recherche d'une solution. Cette grande pierre plate fera l'affaire. Trop lourde pour moi, je la tire jusqu'au tunnel, la coince dans l'entrebaillement et je fais levier de toutes mes forces. Le portail s'entrouvre d'un millimètre ou deux et, avant que Pierre n'ait pu dégager sa main, la pierre casse, provoquant un mouvement de repli du portail... et un cri de douleur. Plusieurs tentatives encore, et... délivrance !

Nous passons au soleil, son poignet est sanguinolent. Il était temps, Pierre allait s'évanouir. Nous retraversons le tunnel par la petite porte. La roue de Pierre est à peine voilée ! D'une main, il descend doucement, alors que je dévale chercher des secours. Plus bas, un camping-car monte lentement. Il accepte de monter le chercher et de le redescendre jusqu'à la partie goudronnée.

Quelques jours passent, Pierre le radius cassé, le bras plâtré retourne à l'hôpital pour une visite de contrôle. Il rencontre le campeur belge qui l'a redescendu du col et lui demande ce qu'il fait là ; et notre belge de répondre : " Pendant que je vous accompagnais, ma fille s'est ouvert le genou en m'attendant ! "

Sacré Parpaillon ! Quand tu nous tiens...

Freddy Anceschi

Cyclos de Moirans


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