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Au royaume des marmottes

Revue N° 15 Page 34

Depuis bientôt dix ans, mes différentes " petites reines " me permettent d'allier mes deux passions : la chasse photographique et la chasse aux cols, et ceci sur des terres riches en gros gibiers. De Barcelonnette, on peut dire que l'Ubaye est le " Paradis des 2 000 ", (Bonnette, Parpaillon, etc...). Plus à l'est, Sestrière se compare plutôt à la Mecque des Cyclos-Montagnards avec sa barrière des neuf 2 000. Mais aujourd'hui, je pointerai plutôt mon objectif sur cette station du Briançonnais, Serre-Chevalier pour la nommer. Quittons les pentes du Granon et ses cinq acolytes pour porter notre regard sur l'autre versant de la vallée. En effet, face à mon regard de chasseur de cols, se dresse la réalité d'un projet qui vit le jour un soir d'été, dans un village près de la Sologne (drôle d'endroit pour un cyclo-montagnard). Dans le grand angle, le panorama couvre l'intégralité des sommets, du Prorel (2 566) à la Cucumelle (2 698) via l'Eychauda (2 659).

Dans ce décor de roches, de sapins et autres pâturages, se dessinent six affaissements du relief qui ne trompent pas l'œil du connaisseur. Une sérieuse lecture de la carte (n° 10 Didier & Richard) est à effectuer. En effet, près de huit cols dépassant l'altitude fatidique figurent sur celle-ci. Il faut procéder à une nouvelle enquête dans la " Bible Chauvot " pour s'apercevoir que le moindre de ces passages muletiers est coté 3 et 4 ; ce qui, pour les habitués, signifie poussage difficile, voire portage. Il faut que j'oriente mes recherches vers l'Office de Tourisme et auprès des responsables du centre de vacances où je loge pour leur expliquer mon embarras. Il est certain que ma carte dévoile tous les sentiers et pistes du massif, car mon objectif est de grimper là-haut en " mountain-bike "! et de franchir le maximum de cols.

Les premiers renseignements m'indiquent que certains jours, le centre UCPA de Villeneuve-la-Salle redescend du sommet de Serre-Chevalier par les pistes de ski ; la différence avec moi, c'est qu'il y monte par le téléphérique. Cela prouve que l'on peut y grimper, bien que le VTT passe vraiment partout et n'a pas besoin, dans certains cas, de pistes tracées. Pour approfondir ces dires, les sentiers qui suivent la crête me sont conseillés. M'aidant de tous les documents collectés, j'envisage la montée vers la Tête de Serre-Chevalier, point de départ de toutes les excursions, en longeant le tracé du téléphérique. Ensuite rejoindre le col de l'Eychauda par le col de la Pisse (2 501), et revenir par celui de la Cucumelle (2 501). Reste à connaître l'évolution du temps pour choisir la date éventuelle.

Vendredi 22 août. La vallée se dégage doucement des brumes de chaleur, mais la météo annonce des nuages pour la soirée. Le bidon est plein, le sac à dos est en place, il est temps de partir. Je délaisse déjà l'itinéraire prévu sous le téléphérique, car certains touristes montent en voiture et j'estime avoir avalé assez de poussière lors de mon passage italien dans la " Mecque des 2 000 " citée plus haut. Avant d'attaquer la montée, je m'en vais longer " le Grand Canal ", comme on appelle là-bas le torrent canalisé qui surplombe la Guisane. Le parcours n'a rien à envier à certains " enduros " pour motos ou bicross. Un éboulement m'oblige à quitter le sentier et à procéder à l'ascension. Le revêtement restant bon, j'arrive sans problème à la gare intermédiaire. Les randonneurs s'étonnent de voir un tel engin à cette altitude.

Certains s'arrêtent un instant, pour voir les capacités de la machine, alors que je me heurte à une pente courte, mais frôlant les 20%. Le petit braquet est de sortie, mais il me faudra pourtant mettre pied à terre pour reprendre mon souffle. Altitude 2 015, le sommet se rapproche. La route monte en lacets, accusant un faible pourcentage. Malheureusement, la piste devient très raide. Il faut désormais pousser et les cailloux se dérobent parfois sous les pas. Là-haut dans la cabine, les touristes doivent sourire. Cela fait maintenant trois heures que j'ai quitté la vallée. Une pause casse-croûte me permet d'aller étudier le terrain. J'envisage de couper à flanc de versant pour rejoindre le col de Ricelle (2 371). J'abandonne ce parcours car la pente est trop forte et les roues glissent sur les herbes. Je reviens en arrière et reprends la piste qui passe sous la gare d'arrivée.

Enfin le sentier devient plat avant de redescendre fortement pour atteindre le col. Il est bientôt 14 heures et un faible vent apporte déjà quelques nuages. Cependant le panorama est total (Aiguilles d'Arves, Chaberton et Rochebrune). Je passe désormais sur le versant sud pour rejoindre le col de Serre-Chevalier (2 383).

L'ascension continue, mas je perds l'équilibre lors d'un passage de ruisseau. Il faut avouer que j'ai installé des cale-pieds pour faciliter la montée principale. Mais maintenant la piste est de la taille d'une roue de voiture et les ornières qui la bordent sont des obstacles qui m'obligent à les retirer. Je dois abandonner la montée sur le vélo à une dizaine de mètres du col de la Pisse, reconnaissable par son " cairn ". Face à moi, la pointe du Pic de Clouzis et à mes pieds, la vallée qui descend du col de l'Eychauda vers la Vallouise.

Une nouvelle reconnaissance du terrain m'oblige à battre encore en retraite. La montagne veut encore garder ses privilèges aux promeneurs pédestres. En effet le sentier descend très fortement et le faire en VTT tiendrait du miracle. Malgré l'altitude il faut rester conscient du danger. La nature me fait alors partager ses paysages en m'offrant, côté montagne, un Pelvoux que l'on pourrait presque toucher du doigt, un Appolo, papillon maître en ces lieux, sans oublier ses myriades de fleurs alpines. Mais le temps presse, je dois revoir mon itinéraire pour rejoindre le col de Cucumelle.

Je reviens sur le col de Serre-Chevalier pour attaquer le vrai " tout-terrain ". De ce côté, pas de piste. Il faut passer dans les pâturages. Heureusement, il n'y a pas de pente. Aucun bruit, personne, c'est vraiment la nature à l'état brut. Cependant, il y a du mouvement dans le coin. Il faut que je réajuste ma vision, pour m'apercevoir que cela s'agite beaucoup autour de moi. Soudain, un maître siffleur passe devant ma route. Il y avait quelques semaines, j'avais traqué la marmotte dans le col de Sarennes, mais résultat négatif. Cette fois-ci, la chance est avec moi. Le " télé " en main, j'approche du terrier, mais désormais c'est moi qui siffle.

Le petit curieux sort alors sa tête pour un portrait fleuri. Je continue ma progression au milieu des sifflets, pour aboutir dans un champ de linaigrettes, fleurs cotonneuses qui annoncent un terrain humide. Je quitte rapidement ce royaume naturel pour rejoindre une nouvelle crête, nommée le Clot Gauthier. Changement de décor, il y a toujours autant de remontées mécaniques, mais chacune de celles-ci est reliée par un réseau de routes taillées dans la roche. Celui-ci n'est pas indiqué sur ma carte. Le pourcentage redevient sérieux pour revenir sur le col de Méa (2 457). Une nouvelle piste me hisse, moitié à pied, moitié en vélo, jusqu'au sommet de la Crête de la Balme. Tout cela sous le regard de grosses marmottes. Enfin, arrivé à la cabane des pisteurs, j'entrevois la fin de mon périple. Le tracé de la route s'arrête en contrebas, mais rejoint la ligne de crête, d'où un sentier suit le relief de la crête jusqu'au col de la Cucumelle en franchissant également le col de Fréjus (2 493). Sans donner le vertige, cette traversée est très aventureuse. A gauche, le versant plonge sur les alpages du col de l'Eychauda, à droite, ce sont ceux du Fréjus.

L'heure tardive m'empêche d'atteindre le col du Grand Pré situé à 40 mètres plus haut, ou de descendre vers l'Eychauda. Deux bergers situés à l'écart semblent méditer sur les possibilités de garder les moutons en VTT. Pourquoi pas ? Cependant, comme le dit Jacques Brel : " Mais il est tard, faut que je rentre... ". Il me faudra encore près d'une bonne heure pour rejoindre la vallée, à travers gués, rochers, buissons et forêts. Alors, amateurs de sensations fortes, si le cœur vous en dit, VTT-vous.

Didier Rémond


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