Alcool...

En lutte avec l'alcool et mes souvenirs, je plongeais dans une angoissante torpeur. Je me souviens, ma mère me disait de ne pas tant boire. Mais il le fallait. Ma liberté était à ce prix. Tout doucement, je m'en allais de moi-même. Mon corps avait disparu, je me sentais léger. Les événements de ce printemps me paraissaient finalement bien moins graves qu'il ne m'avait semblé.

" Un vélo à la mer ! " m'entendis-je crier à la ronde. Et je crois que c'était cela. Une noyade pure et simple de mon esprit, plus que de mon corps. Je voyais tout se briser et, l'alcool aidant, je me souviens du rire sinistre que j'émettais à ce moment là. Seul mon cerveau, malgré la violence de l'attaque, réagissait encore. Et mes yeux me voyaient. Etendu là, sur un canapé oh combien providentiel.

" Un vélo à la mer ! " hurlais-je en pleurant toutes les larmes de mon corps. Elles sentaient le vin à dix lieues. Comme j'étais malheureux ! Tout le monde sait qu'il ne sait pas nager. Je me sens dériver. Loin de tout, de la Terre. Que se passe-t'il ? Dommage ! Ai-je raté l'occasion de réussir ma vie, de vivre comme un fou une passion à la dérive ? Qui peut me le dire, maintenant que tout est fini ? Je me débats dans un océan qui me ronge et je plonge à la recherche de ma mémoire, des moments passés et perdus. Je ne suis plus qu'une épave. Pourra-t'on me reconnaître ? Je le veux. Il le faut. Jamais on ne devra nous séparer. Souvenez-vous, c'est elle que j'aime. Elle est bleue, comme moi. Et, comme moi, elle se noie.

" Un vélo à la mer ! " Mais, si je devais survivre, je dirais partout ton nom, et ton souvenir restera à jamais gravé en moi. Je haïs la mort, je la sens au fond de moi. Je suis amer, je goutte les larmes. La folie me tient. Je me sens las de vivre, de rire. Mais elle me caresse, me parle, m'ensorcelle.

Elle gagnera, comme toujours. Je sais que demain, le Brevet du Randonneur d'Alsace, elle m'obligera à parcourir, à la force du jarret. Je saurai souffrir et sourire une fois de plus, me hisser tout là-haut vers le ciel, vers l'infini, vers toi. Tout nous sépare, hier un océan, demain le temps. De l'air, j'étouffe, je me noie. Elle est là. Qui que tu sois, fer ou chair, aides-moi, aimes-moi. J'ai besoin de toi, et toi ? J'ai peur de la réponse, je la sens, néfaste, et amère dans ta bouche.

" Un vélo à la mer ! " Viendra-t'on me secourir ? Et toujours cet alcool qui me chavire le cœur et l'espoir. Peut-être ne suis-je pas tout cela. Ni vélo, ni homme, ni âme ? Peut-être ne suis-je qu'une illusion, qu'une aberration, qu'une folie de l'esprit ?

" Un vélo à la mer ! " Mais que fait Vélocio ? Cela fait une heure que je hurle ma douleur, sans secours, sans recours. Ni Dieu, ni Vélocio ne me répondent. Suis-je damné, condamné à errer dans les effluves de l'alcool, à bicyclette, jusqu'à l'avènement de l'ère cyclo ?

Jamais je n'avais tant bu ; comme j'avais soif, comme j'avais mal ! Qui me tendra la main et me sortira de là, qui comprendra ma douleur ? Au plus profond de la tempête, en plein océan, une île m'attire, me recueille, une oasis calme et ensoleillée qui me chante le bonheur. Elle est là, elle est prés de moi. Elle me soigne, me dorlote. Je la sens, et la reconnaît. Une petite brise souffle.

Elle s'appelle LIBERTE

...LIBERTE

Jacques Schultheiss