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De La Brigue à La Brigue... par les chemins buissonniers.

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Il est 6 heures du matin lorsque je quitte La Brigue, village charmant perdu aux confins des Alpes Maritimes. Les premières lueurs de l'aube soulignent les contours des montagnes. Trois kilomètres de route goudronnée en légère montée le long du " ru sec " qui justifie son appellation en cette saison, et je bifurque sur ma gauche pour gagner sans transition la " route de l'Amitié ".

C'est un chemin large et empierré, où il est relativement aisé de cycler. Pourcentages honnêtes qui nécessitent pourtant le 28x24 pour ne pas déraper.

Je retrouve ensuite le goudron sur environ un kilomètre jusqu'au col Linaire (1430m) blotti dans un bois de sapin et de feuillus. Le soleil darde ses rayons sur le Pic Noir, les chants d'oiseaux retentissent, saluant le jour nouveau.

Un panneau m'indique que je vais maintenant m'engager sur un chemin douanier. La frontière avec l'Italie passe effectivement au niveau de la Baisse de Sanson (1694m). Pas de douanier au sommet, juste un refuge forestier et un monument érigé en 1967 consacrant l'amitié entre les automobilistes français et italiens. Jusqu'où ne va pas se hisser la gent pétaradante !

Deux chercheurs italiens de lunghi, pardon, de champignons, sortent du sous-bois ; ils ont fait une ample moisson de ces excellents comestibles que sont les ceps. Ils me confirment que je suis bien sur la route du Pas de Collardente.

Sur leur demande, je leur explique les grandes lignes de ma randonnée. Cela les étonne visiblement, l'un d'eux me dit : " strada mauvais, beaucoup marche ". Qui vivra verra !

Trois kilomètres en pente douce sur un revêtement de bon aloi pour rejoindre le Collardente que, du reste, je ne remarque pas, car ici, il n'y a pas le moindre panneau à se mettre sous les yeux.

Ce qui fait qu'au lieu de tourner à gauche à ce niveau, je continue tout droit. La route flirte tantôt avec la France, tantôt avec l'Italie.

Un berger accompagné de deux chiens qui aboient à mon passage, m'apprend que j'ai passé le Collardente depuis deux kilomètres. S'exprimant dans un bon français, il m'affirme que je n'ai pas besoin de revenir sur mes pas pour rallier le Monte Saccarello. Il me suffit de continuer en direction de Montesi et de Monesti pour cela.

N'aimant pas faire demi-tour, je me range à son avis et entame une grimpée assez longue, vers le Colle di Garezzo d'où je bénéficie d'un point de vue extra sur la montagne et les vallées. De petits hameaux perdus dans cette immensité, s'accrochent aux pentes.

Belle descente jusqu'à Montesi, sur le goudron retrouvé, puis cinq kilomètres de montée facile jusqu'à Monesti pour reprendre un chemin caillouteux. Une pancarte m'indique l'orientation du Mont Saccarel.

Je dépasse des randonneurs pédestres qui, systématiquement, me complimentent et m'encouragent. C'est le côté plaisant des italiens car ils ont manifestement le respect de l'effort physique et le font savoir.

Sur quelques kilomètres, du ciment remplace la pierraille et le sable. Des lacets en lignes droites, où la caillasse reprend ses droits, j'atteins le mont qui culmine à 2200 mètres.

C'est l'un des moments forts de ce périple. Je jouis d'une vue remarquable sur le Dornin. Un monument en forme d'obélisque, construit prés du vide, commémore les victimes de guerre. Au loin se dresse l'imposante masse de la croix du Rédempteur.

Derrière moi, une énorme nuée grisâtre monte de la vallée et commence à envahir les sommets environnants. Contraste saisissant entre cette nappe cotonneuse et le reste du ciel encore bleu et ensoleillé. Je me hâte de fixer sur la pellicule cet instant privilégié.

Un chemin tracé dans l'Alpe me conduit au Pas de Saccarel (2145m), puis sur la route du Pas de Tanarel (2045m) situé à 600 mètres de là. Une bergerie occupe le sommet du col ; des dizaines de moutons paissent alentour. Echanges de saluts avec les bergers avant de regagner le carrefour que je viens juste de quitter.

Je vais devoir rouler pendant quelques kilomètres, dans un brouillard épais, avant de retrouver subitement le soleil. J'en profite pour pique-niquer au bord d'un torrent car il est déjà 13 heures.

Moment de détente apprécié dans cette nature intacte où les eaux impétueuses et le chant des oiseaux apportent une touche sonore.

La route des crêtes franchit, sur une courte distance, la frontière au col de la Celle Vieille (2099m) puis s'en retourne en Italie jusqu'au col des Seigneurs (2145m).

J'évolue à présent dans un univers minéral d'une farouche beauté. D'immenses blocs occupent le flanc de la montagne. On dirait qu'un Dieu courroucé a littéralement bombardé l'endroit.

Le chemin devient franchement mauvais. Des cailloux blancs, gros comme le poing, composent la presque totalité du sol, si bien qu'il s'avère très difficile de cycler. Le vélo dérape de l'avant, rue de l'arrière ; les pierres giclent sous les pneus et viennent marteler les bords de jantes.

J'ai l'impression de chevaucher un bronco !

Au col de la Boaïra, je découvre une fort belle vue sur le Bric Campanino. Le revêtement, en moins mauvais état, m'autorise à aller plus vite. Je suis sur un replat où un écart pourrait avoir des conséquences graves, voire définitives. D'ailleurs, lorsqu'une voiture vient à me croiser, je préfère m'arrêter.

Je franchis successivement les cols de la Perle (2086m) et de Campanino (2142m). Au col du Bec Roux signalé sur une borne par une inscription au crayon noir, œuvre d'un randonneur ; un italien chauvin a transformé l'appellation en " Colle Becco Rosse ". Il est vrai que je suis toujours à cheval sur la frontière.

Prés du col de Tende (1871m), le dernier de la série, se dessine l'imposant fort central, rappelant l'intérêt stratégique de ce secteur frontalier. De nombreux touristes italiens attirés par les vestiges du fort et la possibilité de balades à pied, déambulent à travers l'Alpe.

Une grimpette vers un remonte-pente et c'est la plongée vertigineuse dans le vallon romanin. Une piste en terre battue, aux lacets très serrés (une bonne cinquantaine) me ramène sur l'asphalte, que je retrouve avec délectation.

La route longe la Roya ; elle me conduit d'abord à Tende, site surprenant avec ses hautes maisons aux toits de lauzes, puis à la Brigue.

Ça y est, la boucle... est bouclée !

En conclusion, 100 kilomètres de chemins pierreux agrémentés de 16 cols dont 9 à plus de 2000 mètres. De quoi satisfaire et régaler les plus exigeants des fanas du cyclomuletier ! Sans oublier, naturellement, les paysages merveilleux, propres à ravir les contemplatifs et les photographes.

Jean-Jacques Laffitte


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