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J'ai deux amours

Revue N° 15 Page 55

J'ai deux amours, ma Champagne et la Noire.

J'ai deux amours...

Je chante avec les mêmes notes que Joséphine Baker lorsqu'elle chantait " Mon pays est Paris ".

Mes deux amours sont mes deux bicyclettes.

La Noire est connue. Sa naissance, notre rencontre, nos premiers regards ont été annoncés.

Quand j'ai pris possession de la Champagne, je redécouvrais le cyclotourisme, je n'avais pas encore abordé la grande montagne, je n'avais pas la plume aussi facile. Nos amours ont débuté discrètement sur la Schlucht puis sur le Revard déjà plus dur. Les sentiments s'élevèrent ; ce fut vite la passion. Que de moments enthousiasmants, émouvants, j'ai vécu avec ma Champagne ! l'Izoard d'abord, mon premier plus de 2000 m, tant craint et tant attendu à la fois, l'Izoard où j'ai frémi dans la descente, à un doigt de la chute... Les murs de neige du Galibier... Les terribles derniers lacets du Tourmalet... La longue Bonette et son difficile passage peu après le camp des Fourches, ses " petits " voisins qui culminent à plus de 2000 m...

Tout cela avait usé la Champagne. La venue de l'étincelante Noire avait accentué, par contraste, le mauvais état de ma première compagne ; elle n'était plus seulement défraîchie, elle était vieille. Déjà, des éléments avaient été remplacés ; la roue arrière par exemple, n'était plus celle d'origine, cassée nette, sans moi, au cours d'un accident ; la fourche avant, faussée au cours d'un autre choc, n'avait pu être complètement redressée et ma Champagne s'en allait de guingois, boitillant en quelque sorte, à l'image de son seigneur et maître. Que dire de l'émail, ce qui fut sa belle robe !

Ma Champagne était vieille. Plus qu'un ravalement, une opération de chirurgie esthétique s'imposait ; elle a eu lieu, qui prit du temps. Ma bicyclette m'est revenue, il y a quelques jours, mise au goût du jour par quelques petites attaches brasées ici et là, guérie de son arthrose du train avant, allant bien droit après le remplacement de la fourche, belle à nouveau, bien que la couleur ait un peu changé ; j'étais attaché à la couleur champagne ; aussi ai-je choisi pour l'émail une teinte qui s'en rapproche, bien que tirant sur le marron, comme si la coquette avait été se faire dorer au soleil.

Je retrouve ma Champagne de ces dernières années, sa jeunesse et... la mienne, enfin ce qu'il en restait.

Je viens de l'enfourcher pour une petite randonnée d'une vingtaine de kilomètres : il fait mauvais, le printemps hésite. C'est peu dire que ces retrouvailles m'ont procuré du plaisir... Légèreté, vélocité caractérisent la Champagne. A côté, la Noire est plus tassée, plus rebondie . La première a des roues de 700 et des pneus fins ; la seconde a un cadre plus petit, des roues de 650, des pneus plus larges.

Ce sont deux bicyclettes différentes.

Avec la Noire, rondouillette, confortable, sûre, je ferai les randonnées au long cours. Avec la Champagne, nerveuse, batailleuse, je jouerai davantage au jeune premier, au petit athlète : elle me donnera l'illusion d'être toujours jeune... je jouerai avec la Champagne ! Et avec la Noire aussi.

L'an dernier, j'avais marqué ma préférence pour la Noire, la dernière élue. Aujourd'hui, mon cœur balance.

J'ai deux amours...

Bernard Migaud


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