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Cherel... Cherel... où es-tu ?...

Revue N° 16 Page 18

Il y avait un sacré moment que nous devions le faire, ce Cherel. Pour mon compte, j'en avais effectué ma première grimpée par une magnifique journée de septembre 1982. J'en conservais un souvenir inoubliable. Par contre, Jeanne mon équipière, me disait souvent :

_ " Le Cherel... c'est pour quand ? "

Et ça traînait. Il y avait tellement d'autres cols au programme. Or, au matin du 2 novembre 87, coup de fil. C'était Jeanne : " On y va ?... "

Alors moi : " Où ? "

Elle : " Au Cherel pardi ! Il fait beau ! "

Pas de problème. En moins de deux, les vélos sont sur le toit de la voiture. Car pour nous, cycler de Bellegarde à Annecy n'apporte plus rien. La file des camions, on connaît !

Brouillard au départ. Brouillard en chemin. Brouillard à Annecy, à Doussard. Pourtant, à Chevaline (pas la boucherie, mais la petite commune blottie au bas de la combe d'Ire) on voit tout de même les maisons, les arbres et un brave retraité qui, bien vite, nous fait les honneurs de son pays (qu'il va d'ailleurs quitter dés le lendemain pour transhumer sur les bords de la Grande Bleue). Résultat du bavardage : notre voiture bien garée et surveillée jusqu'à notre retour.

Il est presque midi. Nous hissons Chevaline dans son humidité. Quelques centaines de mètres de descente et c'est l'attaque du Cherel. Pas de circulation. Nous n'aurons, en tout et pour tout, qu'un dépassement d'un petit véhicule de l'O.N.F. D'ailleurs, il s'agit d'une route forestière très peu fréquentée, sauf peut-être les jours de chasse. Et ce n'est pas le cas.

Premiers kilomètres rudes. Mais, en ce plein automne, le sous-bois est superbe. Une féerie de couleurs. D'autant plus que le soleil a réussi à se faire une petite place, et nous procure des joies visuelles incomparables.

Nous " grignotons " les bornes de cette grimpée de 13 km 500 qui doit nous amener aux 1495 mètres de ce col. Des bornes bien existantes, puisque, non seulement il y a celles ponctuant les kilomètres, mais aussi celles des " hecto ". Toutes dans un style peu commun, avec les chiffres en relief. De quoi tenter des collectionneurs peu... scrupuleux !

Aux environs de la cote 800, là où la route devient véritablement forestière, là où l'Ire, torrent écumant, lisse depuis des siècles les rochers de son lit, nous causons la surprise et dérangeons bien involontairement trois superbes chamois se désaltérant. Le seul crissement de nos roues sur le gravier les alerte. Départ fulgurant. Mieux que celui des F1 lors d'un Gand Prix !... En quelques dixièmes de seconde, le trio, bondissant de pierres en roches, disparaît dans une coulée au pourcentage effarant. Chemin vertigineux (pour nous), qui va ramener ces chamois sur les calmes hauteurs de la Montagne du Charbon.

Terminé le spectacle. Terminé le soleil. Le rideau du brouillard retombe. Nous roulons sur un tapis de feuilles mortes et mouillées. C'est très glissant. Ça dérape. Il faudra la jouer fine pour la descente...

Deux, trois lacets en escaliers. Comme une échelle. Faut mouliner. Nous passons de petits ponts sans parapet. L'Ire coule dessous et s'enfonce de plus en plus dans une gorge profonde.

Plus nous nous élevons, plus le brouillard devient épais. Du moins, si nous ne percevons pas le paysage, nous avons l'avantage de ne pas jauger le... pourcentage.

Dans l'ouate, nous gravissons les derniers kilomètres sur un sol raviné. A peine pouvons-nous distinguer la ruine d'une bâtisse qui fut sans doute une bergerie et qui depuis des années veille à l'orée du sommet.

Du plat... quelques mètres. C'est le col. Un panneau très tibétain indique des directions. On le distingue à peine. Déception. Tout est dans l'opaque. Où sommes-nous ? Au Cherel ou au milieu de la Dombe ? " Chi lo sa ? "

Et pourtant... j'ai souvenance. De ce côté, il y a le majestueux Trelod. De l'autre l'Arcalod sauvage. En face... la plongée sur Jarsy, Ecole. Derrière... la Tournette. Nous devinons un début de chemin caillouteux. Un jour peut-être, le Cherel ne sera plus un cul-de-sac (il ne l'est pas pour les cyclomuletiers mais nous ne sommes point de ceux-là). Pour l'heure il nous fait revenir par le même chemin. Nous navigons... " au pif " dans le gros nuage. J'essaie de " topographier " à mon équipière comment est le... paysage. Pas facile !

On voit tout de même le grand lac, où par jets saccadés arrive une eau glacée et pure qui fait les délices de Jeanne. Sur le ciment, une inscription gravée : " J.O. Albertville 1992 " ; une pub sans grand rendement en ce matin de novembre !

Si seulement ce sacré brouillard f... le camp ! Le vent souffle, mais il amène toutes les brumes massées dans la vallée des Beauges. Et pourtant... Crac !... l'espace de quelques secondes, un trou dans le paquet de coton. L'Arcalod apparaît dans toute sa beauté. Une chance : Le " Pantax " est toujours autour du cou. Ainsi, prés du chalet, Jeanne passe à la postérité et pourra justifier son 140e pour le " Club des 100 Cols ".

Alors naît l'espérance. Certainement que le soleil va gagner la partie. Hélas, la chape blanche est retombée. On attend. On piétine. Il fait froid. On a la fringale, mais il fait trop froid pour manger. On bat en retraite. Au moment où nous enfourchons nos vélos, un ronronnement sourd nous parvient. Cela se rapproche. Soudain surgissent du néant blanc, deux motos. Comme nous, leurs pilotes seront... volés ! Ils ne verront rien. Rien de ce paysage tant espéré. Et moi qui le connais, plus encore, je me sens floué. Mais c'est ainsi...

Commence la descente, aux freins, sans savoir où elle nous entraîne. Plus de cinq kilomètres avant de retrouver une visibilité potable et la chance de ne pas manquer les ponts (sans parapet !...). A nouveau, nous entendons cascader l'Ire. Mieux, nous pouvons même tirer une ou deux photos, souvenirs mémorables.

Enfin la route redevient plus sèche. Le " verglas des feuilles mortes " est passé. Petite remontée bienfaisante et re... voici Chevaline. La voiture est là. Sur les planches d'un chariot, nous nous installons pour manger. Il ne fait toujours pas chaud. Mais un " coup de Gamay de Savoie " fait remonter la température. Nous subissons à nouveau le bavardage du retraité :

" Revenez aux beaux jours... "

" Ouais ", a répondu Jeanne.

Car pour elle, le Chérel : " Connaît pas ! "

Jeanne HERNIOLE et Paul MAILLET


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