C'est avec un délice certain que j'ai découvert ce texte de Pol MARIANI, personnage éminent du cyclotourisme belge, qui date de novembre 1934. Si nous tenons compte qu'à cette époque l'information était beaucoup plus restreinte, il faut reconnaître que nos aïeux étaient néanmoins bien documentés. En outre, ils étaient animés de cette foi indispensable, qui leur permettaient de déplacer les montagnes. Je vous livre ci-dessous un extrait d'une aventure d'avant-guerre. "... Forts de certains renseignements recueillis à Grenoble et nous, confirmés à l'hôtel à La Grave, nous avions décidé de faire connaissance avec la dure rampe du fameux Galibier géant. Je savais que les portes du Tunnel à 2555 m d'altitude, qui perce la montagne, à 545 m du col, sont ouvertes, d'habitude, le 1er juillet, livrant ainsi la route aux communications. Un déblayage de la neige du côté nord est toutefois nécessaire auparavant. Nous n'étions qu'au 27 juin, mais comme la saison était exceptionnellement chaude, cela avait permis, nous disait-on, d'ouvrir le tunnel plus tôt que de coutume. Nous partîmes donc de La Grave vers 9 h 1/2, après avoir réparé un pneu qu'une épine avait aplati durant la nuit. Belle journée très chaude. Au sortir de la localité il y a un peu de "plat" et ensuite une gentille descente d'environ 1 km 1/2, je crois, jusqu'au pied du géant. Nouvelle crevaison. Un drink au chalet du P.L.M., perché sur un petit plateau, que l'on atteint par une pente très raide, et descente en vol plané pour revenir au point de jonction des routes de Valloire et de Briançon. Ici nous abordons les lacets mêmes du Galibier. A pied, bien entendu, car il ne faut pas songer à pédaler avec des vélos chargés sur une route en mauvais état montant de 14 à 18%. Une paille ! Voulez-vous un point de comparaison ? Une des plus fortes côtes de Bruxelles est la Montagne du Parc, qui d'après un annuaire du T.C.B., accuse un pourcentage de 9,2. Vous avez donc une idée de la difficulté que présente l'ascension des lacets du Galibier, géant d'une longueur de 5 km 1/2. Et notez qu'avant d'entamer cette rampe, ça grimpe depuis 25 km environ ; le Lautaret (12 km) y compris ! Nous croyions pouvoir arriver au tunnel vers 1 h 1/2 et trouver un bon dîner au restaurant situé tout prés. Pauvres nous! D'abord il était 2 h 1/2 quand nous atteignîmes le restaurant. Première désillusion, il était fermé. Seconde tuile, le tunnel n'était pas ouvert. Evidemment, le premier dépendant du second, il n'y avait qu'une chose à faire : "ne pas s'en faire". Quelle déception cependant ! Revenir sur nos pas... à moins d'escalader la montagne par dessus le tunnel et passer le col comme l'avaient fait Hannibal et Napoléon ? Mais comment passer par-dessus cette masse sans l'équipement adéquat et avec nos vélos. |
Bigre !! Un peu découragés, nous nous étions assis à même le sol et mangions des bananes en regardant le restaurant, histoire de dîner tout de même, quand brusquement un solide bougre d'une vingtaine d'années surgit, nous ne savions d'où. C'était un guide qui venait de passer deux cyclotouristes de l'autre côté et qui redescendait la montagne. Une aubaine quoi, pour nous comme pour lui. Il s'offrit de nous guider aussi, à condition de montrer un peu plus d'énergie que les deux lascars qu'il venait d'aider. Diable, il ne nous encourageait guère ; mais il fallait coûte que coûte passer, plutôt que de perdre une journée. Il prit sur son épaule le vélo de ma femme. Celle-ci se chargea de l'appareil photographique et littéralement emballé par ces exemples, j'empoignai la bécane qui restait. Hé, hé, c'est assez lourd un clou chargé, vous pouvez m'en croire. Par des chemins de chèvres, à même le roc, le guide nous conduisait à petits pas en zigzag ; c'est ainsi que l'on chemine en montagne. Chaussés de nos souliers cyclistes, nous n'en menions pas large. L'autre avait des souliers cloutés garnis pour le surplus de crochets redoutables débordant des semelles. Après deux cents mètres d'ascension, nous étions dans la neige. Ça devenait extrêmement intéressant. Mais nous fûmes tenaces et enfin récompensés par la bonne réussite de cet exploit plutôt acrobatique et la vue d'un inoubliable panorama du Col du Galibier à 3100 mètres de hauteur. La descente, toujours dans la neige, ne fut guère facile comme bien vous le pensez. Glissant sur une jambe repliée, et avançant l'autre pour freiner, nous approchions lentement de la route. Le guide lui, s'était lancé en courant à grandes enjambées, de ces longues foulées que nous faisions quand nous étions gamins, pour descendre d'un grand tas de sable. Arrivés sur la route, le soleil avait disparu derrière les nuages et, très vite, le froid remplaçait la chaleur torride dans laquelle nous baignions une heure avant. Chandails, écharpes, pèlerines ; rien à faire, nous grelottions. Après avoir remercié le guide, qui se déclara heureux de notre énergie, nous dévalâmes à l'allure rapide des "plongées" en montagne, les 16 km de route rocailleuse jusque Valloire. Nous dûmes nous arrêter plusieurs fois pour nous réchauffer par une gymnastique appropriée que connaissent bien les terrassiers. Après tous ces déboires, nous arrivâmes enfin à Valloire vers 17 heures. Nous n'avions parcouru que 55 km environ, mais quelle belle aventure !... J. BRUFFAERTS (Bruxelles) |