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Des Cols Muletiers... de Nuit !

Revue N° 16 Pages 48 et 49

La pratique des muletiers, si elle apporte, comme aux randonneurs pédestres, de grandes joies aux cyclotouristes, par le contact étroit qu'elle permet avec la nature, a aussi un côté très sécurisant puisqu'elle met à l'abri des risques d'accident, hélas très nombreux actuellement, que la fréquentation, de jour comme de nuit, des routes goudronnées peut entraîner par suite de la cohabitation pas toujours facile avec tous les engins motorisés.

La recherche et le franchissement des cols muletiers ne sont pas pour autant exempts de tout danger : il faut être extrêmement prudent, partir très tôt, car il n'est pas toujours possible d'évaluer de façon suffisamment précise, comme on peut le faire sur les routes en tenant compte notamment du kilométrage et de la dénivellation, les difficultés auxquelles on sera confronté.

Voici des exemples, tirés de quelques-unes de mes aventures cyclo-muletières. En 1964, avec mon frère Paul, après la SF de Digne, nous partons tardivement en vue de franchir pour la première fois le légendaire col du Parpaillon.

Au-dessus de La Condamine, nous faisons le plein d'eau à la fontaine de la chapelle Sainte-Anne, et nous profitons au maximum d'une très belle journée ensoleillée pour engranger de nombreux souvenirs photographiques au milieu de paysages grandioses. Le silence est seulement troublé par le sifflement des marmottes, dont nous apercevons furtivement quelques spécimens, et une de très près captive à côté d'une bergerie.

Alors que nous avons calé nos bicyclettes contre un petit rocher, pour qu'elles nous servent de premier plan, elles ont disparu quand nous nous retournons pour le cliché : un coup de vent les avait fait basculer dans un trou, par chance sans aucun mal, mais quelle frayeur.

Notre progression, entièrement à vélo grâce à nos 650/35, à l'exception de quelques passages particulièrement caillouteux, est considérablement retardée par de violentes douleurs abdominales dont Paul souffre, de temps à autres.

Le résultat est que nous arrivons très tard au tunnel, à 2632 m, et qu'il fait presque nuit quand nous en sortons, après avoir pataugé dans la boue et dans l'obscurité. Il fait très doux, avec un beau clair de lune intermittent, et nous abordons très prudemment la descente. Nos éclairages par "dynamo" sont insuffisants dans ces circonstances, mais le chemin de terre, avec de larges ornières, est bien meilleur de ce côté.

Mon frère, qui a une vision nocturne nettement supérieure à la mienne, arrivera à continuer sans encombre entièrement à vélo, alors qu'après plusieurs chutes, je me déciderai à parcourir la plus grande partie de la descente à pieds. Lors d'une halte, nous posons nos machines contre ce que nous croyons être des arbres : ils chutent bruyamment, ce n'étaient que des ombres !

Trompés par les lumières du village, nous aboutissons à La Chalp, que nous aurions pu éviter pour arriver directement à Crévoux où nous faisons étape. A l'auberge, nous prendrons le temps, le lendemain, de relater notre aventure sur le fameux livre d'or: Le Parpaillon de nuit, ce ne doit pas être très fréquent !

Je referai le Parpaillon en 1970, lors du rallye organisé dans le cadre le la SF de Gap, entièrement de jour cette fois, par un chemin considérablement amélioré et entièrement cyclable des deux côtés, de bout en bout (du moins en 650). Mon frère viendra me rejoindre à la sortie du tunnel coté Crévoux, pour admirer le versant que nous n'avions pu voir la fois précédente.

En 1980, à l'initiative de François Piednoir, une équipe composée de lui-même, frère et amis, de Julio Navarro et du signataire, avait entrepris au départ d'Ax-les-Thermes, un circuit comprenant au menu : le col du Puymorens (petit détour), le Pas de la Case, le Port d'Envalira et, après la plongée sur Andorre-la-Vieille où aura lieu le repas de midi, le retour en France par le Fort du Rat. Avant la grisante descente sur la principauté, malheureusement gâchée par de fortes turbulences venteuses, nous avions fait la connaissance d'un "ténor" des 100 cols, Michel Verhaeghe.

Montée longue, goudronnée, puis non revêtue, mais sans problème, par El Serrat. Alors que nous pensons être près du sommet, nous nous heurtons à l'entrée d'un tunnel dont les travaux n'en sont qu'à la phase initiale ; les ouvriers nous font comprendre que la route s'arrête là et que le col est bien au-dessus. Nous n'avons pas d'autre solution que d'effectuer une longue et difficile séance de portage intégral sur une pente raide, qui s'échelonnera d'environ 3/4 d'heure à plus d'une heure selon les capacités physiques de chacun. Nous crapahutons encore un moment pour atteindre enfin le Port du Rat - 2542 m - à la frontière, d'où nous jouissons d'un très large panorama sur la vallée que nous allons avoir à parcourir.

Mais nos tribulations ne sont pas pour autant terminées : d'après les cartes, il semblait bien qu'un chemin ou une piste bien tracée rejoigne la civilisation ariégeoise, mais il n'en est rien ; alors que la journée est déjà bien avancée, nous ne voyons que des éboulis à perte de vue, traversés par de nombreux petits torrents ou rigoles. Chacun descend à son rythme en pataugeant dans l'eau ; les Pied-noir, habitués aux marches en montagne, disparaîtront assez vite tandis que je reste à la traîne avec Julio.

Il fait déjà presque complètement nuit quand nous atteignons un complexe industriel illuminé mais fantomatique car nous ne trouvons personne pour demander confirmation de notre chemin (usine hydroélectrique ?). Finalement, après avoir changé une ampoule grillée, je me retrouve tout seul derrière pour parcourir la dizaine ou quinzaine de kilomètres de route caillouteuse qui nous sépare du premier village important.

Tandis que j'aperçois avec soulagement, en contrebas, les lumières du premier hameau, ma vigilance est prise en défaut et je m'étale brutalement sur une nappe de gravillons ; je me relève avec quelques contusions et sans éclairage. C'est à pied que je rejoins la route asphaltée pour retrouver Julio qui m'attend assis sur le pas d'une porte, alors qu'il est aux alentours de 23 h...

Ce Port du Rat, quand même, une drôle de souricière !

- Un mois plus tard, lors d'une virée dans les Alpes (Oisans, Queyras, Italie), avec les amis Alain Migot et Jean-Jacques Laffitte, il nous arrivera aussi de terminer à la nuit, comme à Montgenèvre après la descente infernale du col de Granon (2413 m) sur Val des Prés.

- La saison suivante, en 1981, lors d'une de nos campagnes de moisson de cols, où nous avons, en 8 jours, franchi 68 cols dont 11 à plus de 2000 mètres, en grande partie muletiers, c'est assez souvent encore que nous arrivons tardivement le soir ; il faut dire que les parcours amoureusement concoctés par Alain sont particulièrement corsés en dénivelée et qu'il n'est pas spécialement matinal.

Par deux fois, cette année là, la nuit était fort avancée quand le gîte a été rejoint. D'abord je me retrouvai seul en fin d'après-midi sur la route stratégique, en cailloux de fort calibre, qui va du Mont Saccarel au col de Tende, après un mouvement d'humeur de mon acolyte* et guide en l'occurrence.

C'est ainsi que sans en être absolument certain, j'atteignais au crépuscule le col de Tende (1871 m), à la frontière franco-italienne. La lumière était déjà insuffisante pour lire correctement la carte, tandis que je restais perplexe devant plusieurs voies qui s'offraient à mes pédalées.

Je parcours les alentours, grimpe jusqu'au fort central, puis repère enfin la plongée qui était prévue pour revenir à notre point de chute, La Brigue. Ainsi qu'Alain me l'avait dit, il s'agit d'une piste en terre battue aux lacets serrés en très mauvais état. Comme il commence à faire nuit, je préfère descendre par une route plus large et aux sinuosités plus visibles, dont la chaussée, loin d'être parfaite, permet cependant de rouler sans trop de problème.

Y voyant mal la nuit, j'ai de grosses difficultés malgré l'aide de mon éclairage, et j'effectue de longs passages à pied. J'aperçois des lumières tout en bas, mais je trouve le temps interminable, alors que j'affectionne les descentes.

Enfin j'arrive dans un village italien, puis au tunnel de Tende qu'il faut emprunter pour revenir en France, pour me voir interdire de le traverser à vélo.

Il me faudra attendre près d'une heure pour qu'un camion italien veuille bien me prendre pour me faire passer ! Comme la nuit est d'encre, je resterai sur cet engin jusqu'à St Dalmas, puis reprendrai ma randonneuse pour retrouver à notre hôtel de La Brigue un Alain peu inquiet sur mon sort. C'est quand même dur de ne pas avoir pu profiter d'une descente pourtant bien méritée.

Alain et moi récidiverons deux jours plus tard - des incorrigibles! C'est encore à la tombée de la nuit que nous nous retrouvons au sommet de notre sixième col de la journée, le col de la Moutière (2454 m), aux passages particulièrement pentus (28/26 un peu juste avec 3 sacoches) ; C'est donc à pied, le vélo à la main, que nous nous engageons dans le chemin qui mène au Restefond (2692 m), où nous arrivons nuit noire. De ce fait, nous n'irons pas cette fois jusqu'à la cime de la Bonette (où je suis déjà monté à deux reprises, dont l'une avec mon frère), mais nous entamons immédiatement, les alternateurs en fonctionnement, la longue descente sur Jausiers, rendue très pénible pour moi par l'obscurité. Alain étant plus à l'aise, je m'efforce de suivre son feu rouge, mais c'est difficile à cause du trou noir occasionné dans les épingles à cheveux (l'idéal est bien le double éclairage, dynamo et piles).

Après avoir abîmé une jante dans un nid d'autruche, nous parvenons avec soulagement à Jausiers où, malgré l'heure très avancée, nous pouvons nous doucher avant de bénéficier d'un repas apprécié à l'hôtel Meyrand Dunand, bien connu des cyclos (Guide FFCT)...

Une autre fois, nous nous sommes égarés, Elie Bordat et moi-même, en tentant de grimper le col du Comte près du Ventoux, et nous avons failli bivouaquer dans la nature, mais ceci est une autre histoire que je crois avoir déjà raconté dans cette revue... Un compte de plus à régler à la montagne !...

Moralité : partez très tôt, soyez raisonnables pour vos parcours, ne sous estimez pas les difficultés, prenez des marges horaires très larges, emportez tout ce qu'il faut pour être autonome longtemps (ravitaillement surtout), et vous aurez le bonheur de cyclo-muleter DE JOUR en toute sécurité.

*Acolyte : nom donné au compagnon qui fait des cols avec vous.

Henri BOSC


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