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Le Dernier Col de l'Année

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L'année 87 se terminait déjà, et la moisson de cols, fort honorable fut-elle (une soixantaine de nouveaux passages franchis), me semblait manquer de variété et de piment.

Bien sûr, il était difficile d'oublier le Col de la Jas (26-367) non loin de Poët en Percip, à l'ombre du Ventoux, atteint après 30 minutes de marche en plein maquis, sous un beau soleil printanier. De même pour le col de Pain Days (27-286) déniché dans la haute vallée de l'Ouvèze sur un chemin à peine carrossable coupé par un glissement de terrain. Et comment oublier le superbe Col de Perty (26-496), non loin de là, avec ses dix majestueux lacets à 5% de moyenne ?

Pouvais-je passer sous silence les célèbres cols de Sencours et les Laquets (65-160 et 65-276) sur la route empierrée et à péage (gratuite pour les vélos) entre le col du Tourmalet et le Pic de Midi de Bigorre ? cols dans lesquels ma femme faillit me laisser sur la touche. Et aussi le Port de Rat (09-397), voie d'accès originale pour Andorre et déjà décrit dans une revue précédente. J'aurais dû d'ailleurs relire cet article, cela nous aurait évité de nous perdre !

Malgré ces savoureuses aventures, rappelées ici brièvement, je décidais une dernière chevauchée programmée la nuit du 13 décembre. Départ de Lyon Perrache à 22 heures 30, avec mon ami Olivier, 22 ans, un des petits jeunes du Club des 100 Cols (n° 2596) qui a pris de la graine depuis son dernier Thonon-Nice-Grenoble (63 cols en 8 jours). Nous traversons la ville sans encombre, malgré la circulation encore soutenue. Rapidement, nous quittons le confort des lampadaires pour pénétrer dans la nuit. Seul un timide quart de lune accompagne notre pèlerinage.

La montée de Chapanost nous réchauffe (il fait - 1°) et nous réveille. Nous traversons un vaste plateau, et après quelques hésitations, nous retrouvons le CD 489 à la Croix Blanche, au pied de Vaugneray. Nous quittons le bitume pour un chemin forestier. Nos Vélos Tout Terrain (au fait, avez-vous acquis le vôtre afin de multiplier par trois vos terrains de chasse à cols) nous permettent de regarder l'avenir avec optimisme.

Malheureusement, la terre, à peine gelée, nous retient de ses griffes boueuses, et malgré notre expérience des terrains gras, nous devons mettre pied à terre pour avancer sûrement, et ma foi rapidement.

Les sensations vécues ne peuvent être transmises intégralement sur le papier : liberté, sérénité, force, contemplation, communion, rêverie, autonomie, partage de l'inestimable et de l'inutile, conquête des valeurs oubliées, contrastes, joies, plénitude, vérité, nature, racines... Je manque d'ailleurs de choir sur une branche en travers du chemin ! Nous remontons sur les engins à l'occasion d'un replat feuillu. La lampe frontale d'Olivier nous rappelle les avantages de la technique moderne, et nous évite de grossières erreurs. Je garde d'ailleurs le cap avec boussole et carte.

Soudain, nous retrouvons un bon bitume sur une forte pente à 12%. Le bois semble s'éclaircir, et nous pédalons enthousiastes pour finir l'ascension. En effet, après 300 mètres, le col se laisse apprivoiser, courbe l'échine, et nous offre complaisamment son point culminant.

Le clair de lune donne une dimension spatiale à ce site d'où l'on domine Lyon : le col de la Fausse (69-11, 598m d'altitude) est vaincu ! Il est 0 h 30 et nous sommes les maîtres du Monde.

Alors que tout dort (sauf les 1500 concurrents du raid pédestre Saint-Etienne - Lyon que nous allons rejoindre et encourager d'ici deux heures), nous savourons les richesses de l'immensité. De là, par une petite route passant par la Milonnière, nous retrouvons, au milieu d'un décor givré que la lune vient illuminer de son clair-obscur, la route des crêtes, un kilomètre en amont du col de Malval. Pas un chat. Et nous restons en équilibre à 900 mètres, entre la vallée du Rhône et les monts du Lyonnais annonçant la Loire. Puis descente sur Yzeron et Thurins pour plonger dans un triste brouillard nous rappelant la fragilité des grands moments.

Merci au Club des 100 Cols pour tous ces souvenirs, sans cesse plus intenses. Combien de vies me faudra-t-il pour connaître in situ, l'intégralité des cols répertoriés par les amis Chauvot et Rieu ?

R. POUESSEL

A.L.L. Cyclos 01.01.88


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