Oui, on le sait, on connaît ta bicyclette et tout ce qu'elle t'a apporté, le sujet est connu. Non, ce n'est pas elle. Alors, c'est ta femme ? Non ce n'est pas ma femme. Lis et tu verras. Je l'ai rencontrée il y a 15 ans, en faisant mes premiers grands brevets. Je ne pouvais pas toujours suivre les autres, mais elle, restait toujours avec moi. Elle m'a appris à avoir une force de caractère dans l'adversité, la prudence quand il le fallait, mais aussi d'oser. De mordre avec des dents dures, une volonté d'acier, et un froid de marbre pour affronter les vicissitudes de la vie. Et puisque nous y sommes, des difficultés du sport, du vélo, et de la montagne, en ce qui nous concerne. Vous voulez un exemple? En 1979, j'ai fait des brevets de 200 km puis de 300 km, sans histoire. L'histoire est venue avec les 400 km. Départ de Nice à 20 h. avec une quarantaine de cyclos, à toute allure. Près de 40 km/h, avec gros vent arrière. L'euphorie !! . Mais comme je suis un piètre grimpeur et que je ne suis pas aidé non plus par la tendinite que j'ai à mes genoux, mes compagnons sont partis, telle une volée de moineaux à la première bosse du Trayas ; il restait à ce moment là 350 km à faire !!. Je me suis donc retrouvé seul avec "Elle". Nous avons pédalé de nuit jusqu'à minuit. Où, pour la petite histoire, le seul café ouvert de St Maxime, nous a refusé un verre d'eau. Au ravitaillement d'Hyères, nous étions les seuls et les derniers. Puis, nous avons mis cap au Nord dans les petites routes de campagne. J'ai crevé près de Pierrefeu, réparant tant bien que mal mon boyau à la lueur de ma lampe électrique. Bienvenue à l'éclairage de secours !! Et la fête continua jusqu'au petit matin, dans les creux et sur les bosses de la région. Qu'elle fête ! La grande fête de la nature qui a pour thème : "Une nuit en vélo". Avec le soleil qui se couche, les humains prennent leur quartier de nuit. D'abord la circulation diminue, sur ces routes secondaires, puis s'arrête. Les maisons éparpillées dans la campagne s'allument les unes après les autres, tandis que les villages traversés s'emmurent dans le silence. Et puis, la nuit s'installe. Petit à petit les bruits des hommes disparaissent pour laisser la place à "la vie de la nuit". Tout d'abord, l'air change. Il devient plus vif ou plus chaud, suivant les courants, apportant des effluves chauds de senteurs de bois résineux ou du maquis Méditerranéen. Ou, l'odeur de la terre, ou l'air cru, renvoyé d'une paroi rocheuse. L'air apporte aussi à nous deux : le vent. Le vent grave, qui passe là-haut sur les chênes-lièges, sur les pins de toutes sortes ; puis près de nous, le froissement des feuillages, et celui de l'herbe qui frémit. Parfois, on entend les battements veloutés d'un oiseau de nuit, qui hululera un peu plus loin. Il ne sera pas le seul. Tout là-haut dans la montagne, on entendra glapir un renard; tandis que d'une ferme à l'autre un chien aboiera à la lune; à nous, à d'autres chiens, à un gibier qu'il sent, plus qu'il ne voit. |
Ainsi, nous ne sommes pas seuls. La paix est en nous. Le vélo est bien préparé, la sacoche contient tout le nécessaire pour faire ce brevet, alors, adviendra que pourra !! Ainsi les kilomètres passent les uns après les autres. Cependant à 4 h du matin, l'air change. Il devient plus frais, et déjà les arbres chantent "L'hymne à la vie". Tout là-haut, les étoiles pâlissent, et vers l'est, les montagnes commencent à se découper sur l'horizon. A nos pieds, on dirait que la terre se soulève, pour laisser passer mille bruits, que font tous les insectes, qui sortent à la recherche de la lumière, de la vie. L'heure de la chasse commence aussi, et dans l'univers entier, c'est celui qui mangera l'autre. Malheur au faible !! Les oiseaux commencent à chanter, timidement d'abord, puis avec le jour qui se lève, crient leur joie de vivre, à cette nouvelle journée qui s'annonce. Le froid nous prend. Bientôt les étoiles s'éteignent au firmament, un jour laiteux arrive, nous faisant découvrir le relief du sol. L'herbe qui couvre la terre se dévoile comme une jeune mariée, toute humide de rosée, que bientôt le soleil devrait faire briller de mille larmes d'argent. Mais les hommes aussi se réveillent. A tout seigneur, tout honneur. Le boulanger est déjà dans son fournil. Il fait bon y descendre, se mettre pour quelques instants au chaud, et respirer cette bonne odeur de pain. Mais il faut faire vite, le temps passe, et la journée sera longue... Le temps d'acheter quelques brioches toutes chaudes, et nous voilà en selle. 5 h du matin. Derrière, il y a 200 km de faits. Il en reste autant pour rentrer au bercail. Mais cette fois, nous mettons cap à l'est sur Nice avec vent contre, et la pluie qui tombe, et qui ne nous lâchera pas de toute la journée. Dans ce jour mémorable, nous ne nous arrêterons que 2 fois. La première, à Draguignan, pour manger à 13 h sous un porche; et la deuxième à Pré du Lac pour prendre une tasse de thé, avant qu'un déluge ne nous accompagne jusqu'au café Icardo, terme de ce brevet, où nous sommes arrivés à 18 heures. Faisant ainsi les 400 km en 22 heures de selle. Seul, le contrôleur nous attendait. Le réconfort étant pour notre arrivée à la maison. Je pourrais arrêter ce récit là. Mais sachez que lorsque je fais "des muletiers", pour moi que je qualifierai de "bout du monde" : Elle, est toujours avec moi, quel que soit le temps. C'est une amie fidèle qui me remonte le moral pour aller jusqu'au col prévu : vélo en bandoulière, sac au dos. J'espère cette année faire mon premier et certainement dernier 3000 mètres. Le col de Pers : 3009 m que je connais grâce à l'ami François Rieu. Un col fait de neige ou de glace..., au-dessus du Col de l'Iseran, avec Elle bien entendu. Depuis 15 ans que je roule, les 600 cols que je suis près de faire, m'auront apporté un enrichissement intellectuel considérable. Un col ne ressemblant jamais à un autre. Chacun est une grande leçon de géologie, de flore, de victoire sur soi, et d'humilité devant la grandeur de notre planète. Au fait, j'ai 71 ans. Mon prénom est Lucien, et le nom de ma compagne est SOLITUDE. Lucien BEROD 06000 NICE |