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CHEMIN DE CROIX

Revue N° 18 Page 06

L'hiver 88/89 a été particulièrement catastrophique pour les stations de sports d'hiver par manque de neige.

Pour moi, au cours de ma randonnée Thonon-Venise, j'ai été spécialement gâté entre les PK 731,9 et PK 747,4, pourtant située entre les 13 et 23 juin 1989, par abondance de neige en passant par 7 cols à plus de 2000 d'altitude.

Pour ceux qui ont réalisé ce raid, ils savent que ce tronçon est facultatif, mais pensez donc, franchir 7 cols de plus 2000 m en 15 km, c'est tentant.

Ce passage a été un véritable calvaire pour moi. Je dirai même un chemin de croix, cette dernière étant remplacée par le vélo (sans pour cela me prendre pour un martyre, les plus mauvais souvenirs sont ceux dont on se souvient le mieux et deviennent les meilleurs).

Après une chaude, très chaude matinée et début d'après-midi et après avoir escaladé le Passo della Presolana, la sella di Breno, sella di San Pietro, Passo di San Martino, j'attaque la montée du Passo de Groce Domini, culminant à 1892 m.

Le commencement du col s'effectue sous une chaleur caniculaire et orageuse, mais à 2 km du sommet, je trouve le brouillard. Il fait froid, un violent orage s'étant abattu avant mon passage.

J'attaque la portion de chaussée non revêtue, un véritable bourbier dans les parties non enneigées, avec des ruisseaux la traversant et la retraversant.
En vieux routier, comme les indiens, je scrute le sol, mais aucune trace de quelque nature que ce soit, aucun passage avant moi. Je poursuis ma route, sautant d'un bord à l 'autre de la chaussée détrempée, mes pneus s'enfonçant profondément dans la boue. Je franchis quelques passages enneigés en portant mon vélo, enfonçant dans la neige jusqu'au genoux. Je suis mouillé et couvert de boue.

Après quelques kilomètres, je suis rattrapé et doublé par deux motards Italiens réalisant un raid tous terrains en montagne.
Je les retrouve plus loin m'attendant, surpris de trouver en ces lieux un cycliste. Salutations, explications, étonnement, photos, puis repartent.
Le brouillard est toujours aussi dense. Il est 17 h, la nuit semble devoir tomber rapidement. Il fait froid.
Je poursuis ma route tantôt à vélo, tantôt le portant en marchant dans la neige. Je suis rassuré, les traces des motos passées avant moi restent visibles sur le sol mou.

Après quelques kilomètres parcourus, le bruit des motos avait disparu et réapparaissait. Effectivement, les motards redescendaient, n'ayant pu franchir un passage enneigé obstruant complètement la chaussée.

Sur l'instant, j'ai angoissé, n'ayant pas le courage de reparcourir le chemin en sens inverse. A un moment, j'ai envisagé de passer la nuit dans une grotte à côté d'une sainte Vierge, seul endroit abrité.
Les motards m'ont expliqué que moi peut-être, en portant mon vélo, j'avais une chance de passer.

Je me décidai donc à continuer. Le danger, dans le brouillard, c'est que nous perdons tout sens de l'équilibre et d'orientation : c'est l'angoisse.

A partir de l'instant où j'ai quitté mes deux amis motards, je me savais seul, perdu dans cette montagne soudain hostile et pourtant si belle et accueillante quand il fait beau.

Donc, plus de trace, ma carrière dans les travaux publics m'aidant à deviner l'emplacement du chemin (terme plus adapté que route pour ce cas). Après quelques kilomètres, roulant, marchant, traînant, poussant, j'arrive devant un mur de neige sur une plate-forme. Je franchis cette partie enneigée et de l'autre côté j'aperçois un véhicule tout terrain stationnant à cet endroit et ne pouvant aller plus loin. Ouf ! J'étais arrivé au sommet.

En trois heures, je venais de parcourir 10 km, 7 cols franchis à plus de 2000 m : Coletto (2011m), Lavena (2042 m), Grapa (2115 m), Giogo della Bala (2129 m), Dei Galli (2103 m), Crocette (2071 m) et Dasdana (2071 m).

Pus tard, j'ai eu l'explication de cet enneigement particulier en cette période de l'année. Il est tombé beaucoup de neige fin avril. Ce chemin n'est pas déneigé mécaniquement, le soleil étant chargé de ce travail (aucun panneau ne signale cette situation, très rare il est vrai).

Au sommet, j'ai pu constater que les quelques arbres rabougris avaient encore leurs bourgeons fermés et que les perce-neige sortaient seulement du sol.

Entre le sommet du dernier col et le refuge Bonardi (1744 m), j'ai aperçu dans le brouillard un engin en train de déneiger.

Mouillé, couvert de boue, frigorifié, j'arrive au refuge et demande l'hospitalité et le tampon sur ma feuille de route. Le gardien me propose l'hébergement, la nourriture et de l'eau froide. A la seule évocation de ce que je venais de subir et de la seule eau froide qui m'attendait, j'ai préféré continuer et m'arrêter dans la vallée, sûrement plus clémente. Ce que je fis.

Là s'arrête mon chemin de croix, car après et jusqu'à Venise, le beau temps ne m'a plus quitté.

Malgré tout, il serait dommage de supprimer ce tronçon (qui reste facultatif).

Jean Demougeot

Besançon Cyclos Randonneurs


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