RENDEZ-VOUS D'AMOUR

Il pleut. C'est samedi et il pleut ! Si, c'est vrai ! En 1989 il y aura tout de même eu un samedi où il a plu. Oh ! pas des trombes d'eau, pas des cordes, pas même une bonne pluie lancinante à ne pas mettre un cyclo dehors. Juste ce qu'il faut d'averses éparses lâchées par des nuages qui ont fort à faire pour empêcher le soleil de percer, et des coins de ciel bleu de déchirer leur grisaille.

Mais juste ce qu'il faut surtout pour me constituer un alibi à peu prés convaincant. Aujourd'hui je ne roule pas : de toutes façons, il fera beau demain, et l'occasion est bonne de dresser mes listes préférées : celles des 100 cols, sans calcul, et celle des cols durs, exercice de comptabilité qui n'entraîne aucun surmenage.

En fait, aujourd'hui je roule dans ma tête.

89 : pas un grand millésime montagnard, pour moi. Changements de région de résidence et de club n'en sont pas la cause. C'est comme çà ! Je privilégie la qualité à la quantité et ce n'est pas demain que mon programme ne sera établi qu'en fonction du plus grand nombre de cols à passer ou du dénivelée record à totaliser.

Par contre, une belle moisson de bonheurs. Certainement pas spectaculaires à raconter mais immensément doux à vivre.

Et d'abord, ce tour d'Ardèche Occitane à la fin mars : Méran, Gilhoc, Rotisson et leurs confrères ne culminent ni à 2000 ni même à 1000 mètres, mais quelle terre attachante que celle-ci, qui semble loin de tout, de l'agitation, du bruit, des puanteurs, une terre pour cyclotouristes pas pressés et gourmands.

Faut-il évoquer ce merveilleux hameau perché de Thines, l'antique Alba ou les innombrables sites plus célèbres, pont d'Arc, Païolive... au risque d'oublier les plus beaux ! Faut-il louer la gastronomie et l'accueil simple et sympathique d'hôtes en harmonie avec leur terre ? Incomparables randonnées permanentes, trésor véritable.

Bien plus tard, mais encore avant l'annuelle transhumance automobile, ce fut le plaisir toujours renouvelé d'un voyage aussi familial qu'itinérant de Bourges à Bourges en passant par la Bourgogne, la Haute-Savoie, le Jura, les Vosges, les Ardennes, les Flandres et l'Ile de France. Pas, ou peu, de grimpettes inédites dans ce périple : Berthiand me laissant le double souvenir de bas-côtés plantés de fraises des bois et d'un cyclo planté... Tout court ! Mais des rencontres, des photos, des dégustations de ces produits divers qui ne figurent sur aucune liste interdite, mais rapportent force médailles à la France ?

On nous l'avait bien dit : non contents de proposer une randonnée de haute volée, les cyclos de Limoux ont l'accueil chaleureux, l'encouragement stimulant et l'intendance abondante.

La réputation n'est pas surfaite : le parcours, celui de la super R.G.A. et de sa petite sœur, répond à toutes les attentes.

Beauté des sites : lever du jour sur le Canigou , après Roquejalère, montagne souriante -sauf dans la brume sommitale- sur les pentes de Jau, plus majestueuse et mystérieuse à Pailhères, moussue et feuillue, ruisselante aussi, du côté de Pradel.

Plénitude sportive aussi, car ces huit ascensions, ces 4905 mètres de dénivelé, ces pentes tantôt longues, tantôt raides, et en tous cas irrégulières, méritent le respect.

Mais que dire de l'organisation : un pique-nique aussi convivial que copieux à Roquefoirt de Sault, des contrôleurs souriants aux petits soins pour leurs invités, prompts à réconforter les défaillants, à conseiller les hésitants, à encourager chacun... et chacune. Et puis ces nectarines... ces caisses de nectarines... ces monceaux de nectarines fondantes, juteuses, savoureuses : un nectar de nectarine !

Dommage que la fricassé finale sous les tilleuls, un délice aussi, ait été troublée -c'est le moins qu'on puisse dire- par un orage inconvenant autant qu'incongru. C'est ce pauvre traiteur qu'il faut plaindre : non, il ne méritait pas cela, même si nous avons sablé la Blanquette en honneur de ses talents culinaires.

Pouvait-on laisser passer un an sans pèlerinage ou Tourmalet ? Posséder un pied-à-terre à Barèges implique des devoirs - de vacances... On peut faire sa gymnastique quotidienne dans la salle de bains ; nous, on préfère aller respirer à 2114 mètres, tôt le matin avant que la gent polluante soit levée. On en connaît chaque mètre et pourtant on le découvre constamment. C'est un ami et c'est un maître le Seigneur Tourmalet.

Le week-end du 15 août à Murat est à marquer d'une énième pierre blanche. Bien sûr, il y eut le Pas de Peyrol et sa concentration motorisée. Plus calmes et non moins plaisants, aux yeux comme aux mollets, Curebourse ou Prat-de-Bouc.

Cela va de soi, nous fîmes honneur aux pounti, potée, coq aligot et autres Saint Nectaire. Mais, avant toutes choses, ce fut la première permission de l'aviateur Dominique et la chaleur toute simple des retrouvailles, plus émouvantes d'être fêtées dans l'expression d'une passion commune.

Gonflé de fierté et du bonheur de te retrouver, d'écouter tes premiers souvenirs militaires, je te dois, mon fils, d'avoir même accepté sans trop maugréer cette matinée de pluie qui nous a permis de découvrir la Maison de la Faune et ses remarquables collections.

Hundsplan, 600 mètres. Rien d'un Stelvio certes. Un haut lieu de ma saison 89 pourtant, puisque ce circuit du vin nouveau, serpentant joyeusement parmi les vignes de Rouffach et des environs, fut le prétexte à d'autres retrouvailles, bienvenues elles aussi, avec les amis de Tourisme et Vélocipèdie, ce club Uckangeois qui a été notre famille cyclo pendant 7 ans et le demeure, même si nous avons agrandi le cercle avec l'imposant peloton des C.T. Berruyers.

C'était à la mi-octobre. Il n'avait toujours pas plu !... Ou si peu.
Et maintenant, le ciel bleu l'emporte encore une fois sur les nuées.

Heureusement, j'ai achevé mes listes et vérifié mes additions. Reste à poster tout cela et j'irai rouler vers le piton de Sancère pour rêver d'autres grimpées. Prestigieuses ou pas, mais aussi riche de bonheur, d'amour et d'amitié.

J.Lacroix

Bourges