Du Maroc nous sont parvenues de nombreuses lettres relatant le passage de trois randonneurs dont nous allons essayer de suivre les traces. Nul doute que les écrivains publics de certains villages du Haut Atlas ont dû peiner face à ces étranges récits. En voici quelques extraits obligeamment traduits par un cyclo-polyglotte. Ahmed, muletier des Ait Bou Guemés C'est une honte d'utiliser les chemins de nos montagnes pour y chevaucher ces engins de malheur ! Nos mulets en ont encore le sang retourné. Jamais, on n'avait vu de semblables équipages au Tizi n'Ait Imi, traversé par tant de générations de berbères, et nos mulets, surpris par cette apparition, ont failli en renverser leurs bats. Sur nos chemins escarpés, laissez donc la place aux mulets. Brahim de Timichi Ils n'allaient pas bien vite et paraissaient encombrés de leurs charges dans le lit du torrent qui sert de chemin vers Setti Fatma. Ils avaient grand besoin de repos, et je leur ai offert du thé, du pain et des noix. Nous sommes restés deux heures à discuter ; ils se sont beaucoup intéressés à la vie des montagnards dans la Haute vallée de l'Ourika et bizarrement aux hauts passages en direction des vallées du sud. Ils ont insisté pour reprendre le chemin qui ne cesse de monter et descendre à distance de l'Oued Ourika, alors que je leur proposais de se reposer chez nous. Il restait huit heures de marche jusqu'à Setti Fatma. Y sont-ils arrivés avant la nuit ? Enfants du Tisi n'Ait Ahmed Que d'objets étranges ils transportaient dans leurs sacs à bretelles ? Le caïd d'El Had Ces touristes affublés de leurs curieux engins savent-ils que la traversée jusqu'à Amejgag nécessite deux jours de marche en franchissant trois cols entre 2800 et 3100 mètres ? Mohammed d'Amejgag Descendre la vallée de l'oued asséché du Tizi n'Ait Ahmed sous la pleine chaleur, quel manque de bon sens chez ces roumi ! Ils ont savouré notre thé bien au frais chez nous et nous ont donné des cigarettes qu'eux curieusement, ne fument pas, avant de reprendre leur lente progression au milieu des galets de l'oued. Un berger sur la route du Tizi n'Tinififft Les Français se sont servis de notre bassin pour leurs ablutions, puis ont lézardé au soleil après le plantureux repas que l'un d'entre eux s'était démené à confectionner. La boîte de conserves de petits pois qu'ils ont engloutis, je l'ai conservée. C'est rare, une boîte de cette taille dans le Djebel Tifernine. Lahcen, guide à Tallat Reghane Jamais vu ce type de véhicules. A quoi peut-il servir ? Nos randonneurs ne semblent pas démunis. Pourquoi n'utilisent-ils pas les services d'un muletier et de son mulet comme le font tous les touristes ? Ahmed de Bernat, lycée à Azilal C'est dans une salle attenante à la mosquée qu'ils voulaient s'abriter du froid pour la nuit. Je les ai invités et ils ont fait connaissance avec ma famille. Nous avons mangé le pain avec le beurre de lait de chèvre et mon père à préparé le thé. Ils ont tenté de lier conversation avec mon père, mais leur vocabulaire arabe se limitait à quelques mots, aussi j'ai traduit. J'ai conservé leur adresse en France et je compte aller les voir. Peut-être me trouveront-ils du travail là-bas ? Un tourneur de Ouarzazate Jamais vu ce type de deux roues. Son propriétaire l'appelle Tout Terrain. Drôle de nom. Curieuse bête aux pneus de mobylette et dotée d'une pédale maintenue en place par du fil de fer. Pour venir des Ait Ben Haddou avec ce rafistolage, il faut ignorer qu'il existe un service de car ! Quand je lui ai tourné une pièce qui s'adaptait entre la pédale, et la manivelle, que j'ai du retaraudée, il m'aurait embrassé tant sa joie était grande ! Lahcen, épicier à Ouarzazate J'ai d'abord cru qu'ils partaient en expédition avec une Land Rover. Quand je les ai vus charger des kilos de ravitaillement sur les sacs arrimés à leurs montures, j'ai cru que leurs deux-roues allaient s'affaisser ! Caporel-chef Hammou Abaali, d'Agouti el Foutani Repos ! Ces trois français égarés dans notre village m'ont rappelé mes trente ans de services dans l'armée française. Ah la France ! J'ai tenté de les retenir par tous les moyens tant j'avais envie de parler de la France avec eux. Après le cinquième thé, ils m'ont supplié de partir vers Boumalne où ils devaient téléphoner à leur famille en France. Sous le vent chaud, le chergui, et avec une piste sablonneuse, ce n'est pas raisonnable. Ils auraient pu attendre le camion sert de taxi tous les soirs ! |
Hassan, berger du Djebel Sarhro Il ne passe que quelques véhicules par an sur cette piste défoncée, taillée dans le basalte vert, piste datant d'une cinquantaine d'années, époque où le Djebel Sarhro n'était effleuré que par les colonnes militaires. Les montagnards préfèrent toujours les voyages à dos de mulet aux cahots d'un camion naviguant de trou en bonne à 5 km à l'heure. Seuls les touristes français, au volant de véhicules tout-terrain roulent pour leur plaisir sur cette piste infecte. Ceux-là étaient bien touristes et français, avec un véhicule mais sans moteur. Ayant franchi le Tizi Ouaouioun, ils descendaient vers N'Kob avec leurs montures, mais pas dessus, la guidant laborieusement à travers les nombreuses roches à l'état brut de la piste. Le colonel de la caserne d'Oukaimeden Quel culot ! pénétrer dans l'enceinte de la caserne royale des chasseurs en prétextant confondre notre emblème (un chasseur et un skieur) avec celui du Club Alpin, et déranger le peloton de garde à l'heure de la sieste ! J'aurais pu les arrêter pour violation du périmètre des Forces Armées Royales. Un groupe de moissonneurs du Djebel Siroua C'était l'un des derniers jours de mai, à l'heure de la pause, à l'ombre de nos tentes, car aucun arbre ne pousse sur nos terrains de culture. Les trois français se sont arrêtés en bordure d'un talus, y ont installé un abri à l'aide d'une tente bien différente de la notre et on extrait de leurs sacs un abondant ravitaillement, de quoi nourrir toute une armée de moissonneurs. Nous ne leur avons pas proposé de travailler à la faucille avec nous car, après leur débauche de nourriture, ils se sont endormis... Fragiles, ces français ! On était encore loin des grandes chaleurs de l'été, guère plus de 40 degrés à l'ombre ! L'instituteur de Tachedirt Ils paraissaient bien connaître les chemins de notre Haut Atlas au terme d'un périple de trois semaines, dont je n'ai pas compris tous les détours. Prenons l'exemple de la piste militaire de l'Oukaimeden sous l'Adrar Tizerag. Cette piste, tracé par le 10ème Goum conduit au Tizi n'Tailiouine par des pentes ravagées par des avalanches de pierre, et n'est plus utilisée maintenant qu'il existe une route goudronnée menant à la station. L'un d'eux, celui qui possédait une bicyclette comparable à celles de l'équipe cycliste marocaine, avait déjà enseigné au lycée d'Agadir. Après avoir traversé le Tizi N'Ou Addi, ils rejoignaient Imlil, après une nuit passée chez nous. Mais pourquoi ces renseignements sur le Tizi N'Likemt à 3555 m d'altitude, bien plus escarpé que le Tizi N'Ou Addi. Le Likemt, col encore enneigé en mai, mène en deux jours de marche vers les vallées méridionales de l'Asif Tifnoute. Est-ce pour revenir plus tard en saison ? Un randonneur de " Terre d'aventures " Le programme de notre trek n'avait pas prévu de croiser une expédition de trois cyclotouristes au Tizi N'Ouhattar à 3125 mètres d'altitude ! Pas de mulets, pas de guide, une étape là où notre parcours en prévoyait deux. Etait-ce vraiment des vacances ? Mohammed, sergent-chef du poste de Zaouia Ahansal Mon rôle consiste à relever l'identité des touristes pénétrant dans la vallée des Ait Bou Guemés et le numéro de leurs véhicules. Mais que faut-il relever quand il s'agit de trois vélos, d'ailleurs bien enregistrés sur les passeports. Monter depuis le barrage de Bin el Ouidane a du demander deux jours et il leur reste une journée pour atteindre les Bou Guemés par le Tizi n'Ilissi. Aucun autre poste n'a signalé leur passage depuis. Par où sont-ils sortis de cette vallée en cul-de-sac. Voici les noms relevés sur le registre : -Henri Chanlon du Var -Michel Perrodin de la Côte d'Or -Michel Verhaeghe des Alpes Maritimes Abdallah de Marrakech Ils ont pénétré au plus profond de nos vallées, là où il faut des journées de camion et de mulets pour atteindre les villages d'altitude. Leur randonnée à couvert 1 600 kilomètres dont plus de la moitié en pistes et sentiers, mais ce dont ils semblent le plus fier, ce sont les cols. 50 m'ont-ils dit, dont 29 avaient plus d'importance pour eux car situés à plus de 2000 mètres. Qu'est-ce qui pousse ces randonneurs à jouer à saute-montagnes de vallée en vallée, là où ne passent que nos mulets et nos muletiers ? M. Verhaeghe |