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JOJO

Revue N° 18 Page 49

Jojo c'est mon copain. Et il est fort mon copain. Il a fait de la compèt, même que s'il avait voulu... mais voilà, chaque fois qu'il voulait, il y en avait une centaine d'autres qui voulaient aussi et qui voulaient encore plus fort que lui.

N'empêche qu'il est fort mon copain.

Le vent du col, celui qui s'agite quand on arrive dans les derniers lacets nous accueille de son souffle caressant alors que le nôtre devient de plus en plus court. On s'est promis de faire fort avec Jojo vu qu'on est pas là pour rigoler. Jojo en vélo, il n'aime pas rigoler. Moi j'aime bien, c'est pour ça qu'on s'entend bien avec Jojo.

Le dernier kilomètre s'éternise. Normal, l'escalade d'un col c'est comme l'éternité, c'est surtout long vers la fin. Le coup de pédale est plus facile maintenant. Ce n'est pas qu'on devient subitement meilleurs, non, c'est la route qui s'aplatit à proximité du col.

Jojo dès qu'il voit une bande blanche à travers une route, une pancarte ou tout autre matérialisation qui lui rappelle ses glorieuses arrivées au sprint, il est pris d'un incontrôlable frémissement de l'épiderme do mollet et d'une accélération subite de son rythme cardiaque. Grimpé sur ses pédales, les mains en bas, le menton rivé à la potence, le voilà parti comme une savonnette que l'on voudrait saisir par surprise. Il est fort Jojo...

A folles pédalées, il file vers un horizon incertain dont seul l'autre versant de la montagne détient le secret...

Et c'est là que le drame arrive ;
Halte ! Contrôle.

Empêtré dans ses cale-pieds super-automatiques à déclenchement sensitif. Voilà t-y pas Jojo, plus soucieux de ralentir sa machine que de chercher son carton attestant que c'est un honnête cyclo qui est bien passé partout parce qu'il en a les preuves déboucher sur le terre-plein, plein de cailloux d'ailleurs recherchant complètement désemparé une zone de freinage et d'appui.

Dans sa précipitation à vouloir franchir les cols en tête, il n'a pas d'autre choix que de s'accrocher désespérément à la table de camping, qui comme partout ailleurs atteste de la bonne tenue du contrôle, comme à un ultime garde-fou qui viendrait mettre un terme à sa trajectoire improvisée.
La vitesse généralement admise et tolérée pour ce type d'atterrissage est rigoureusement réglementée, ne serait-ce que pour garantir la sécurité des contrôleurs.

Mais Jojo a oublié que les courses c'étaient avant - quand il avait les jambes imberbes -. Et la minette qui fait bronzette derrière la table, moulée à la louche dans un splendide string fluo à faire grimper toujours plus haut et dans un même élan tous les pépés du Club des Cent Cols, est en train d'en faire les frais. Détrônée de son pliant, elle se ramasse sur ses coups de soleil et dans le désordre, Jojo et son vélo toujours solidaires surtout dans la difficulté, la table qui bascule sous la poussée, les gobelets pleins de sirop de menthe et grenadine, les tranches de cake au chocolat qui donnent soif mais qui calent et en prime, toutes les feuilles de pointage qui, généreusement arrosées de sirop se teintent d'une touche subite de vert et de rose.

L'opération a duré une demi-seconde record battu. Jojo est content, il en tient un (record).

La minette est furieuse, un string tout neuf ! Jojo est vexé, mais il n'a pas perdu les pédales c'est l'essentiel et c'est même pour ça qu'il est à quatre pattes et deux roues sur la contrôleuse qui baigne maintenant dans le sirop tiède qui s'échappe sournoisement des deux jerricans de vingt litres renversés par la même occasion.

Ce fut une bien belle randonnée tout de même. Et pestant le reste de la journée sur les contrôles de tout crin, qu'ils soient du fisc, de la Sécurité Sociale, des impôts, de vitesse ou placés au sommet des cols. Jojo me confia plus tard que s'il avait voulu... il aurait pu... " Mais quand même t'as vu où elle l'avait mis son contrôle ?

Il est fort mon copain !

P Mounier

Asculyon


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