Depuis belle lurette, j'entends parler par-ci par-là, et à travers certains récits, de cette fameuse route (ou plutôt de cette fameuse piste), allant de Sestrière à Susa (Italie), ou vice-versa, au choix. Qu'a-t-elle donc de si particulier pour susciter un tel intérêt? Elle n'est pourtant pas goudronnée, alors pourquoi l'emprunter? Tout simplement pur la multitude de ses cols à franchir, huit au-delà des 2000 mètres sur route classique, pour les habitués des confréries des cols (les Cents et les Durs) et treize pour les plus fanas d'entre eux, dont je fais évidemment partie. Xavier qui sera mon compagnon de route est bien présent au rendez-vous fixé à la gare de Briançon en ce samedi 15 août. Sans plus attendre, nous nous dirigeons aussitôt vers le magasin de cycles Riquet Sport, pour la location des VTT, auxquels il faudra très vite s'habituer (position des mains, du dos, des jambes..) Nous montons en selle à 9hl5, le ciel est bleu et ensoleillé, la température agréable et la distance de cette première étape tournera aux alentours des 90 km pour un dénivelé avoisinant les 2200 mètres. Est-ce beaucoup? Et bien oui, si l'on considère que 1000 mètres sont effectués sur une chaussée non revêtue. Dés les premiers hectomètres, nous sommes déjà dans le vif du sujet, la montée sur la vieille ville ou ville haute est affolante pour notre cœur, mais heureusement, la pente de la chaussée s'adoucira ensuite, au niveau de la citadelle. Nous dominons à présent le lit encaissé de la Durance. La vue est imprenable sur le site pittoresque du Pont d'Asfeld, un ouvrage d'art d'une belle hardiesse situé une cinquantaine de mètres au-dessus du lit de la Durance. Après ce replat bienfaisant, nous nous élevons ensuite en lacets au-dessus de la vallée de la Clarée, à travers les pins, avec cette magnifique échappée en contrebas sur le bassin de Briançon. La pente est correcte mais je suis en furie, car l'air pur de la montagne que nous étions censés respirer, est remplacé par les gaz d'échappement de l'important trafic automobile italien en majorité. Navrant! Xavier est dans son élément, il a la "frite", quant à moi je peine en silence, mais j'avance tout de même. Mon équipier passera en tête pour le 'Grand Prix de la montagne' au sommet du Col de Montgenèvre (1850m) ainsi qu'à tous les suivants, d'ailleurs. La petite station de Montgenèvre est l'un des premiers centres de sports d'hiver français, et l'obélisque qui se dresse quelques mètres au-delà de la douane française, rappelle que la route a été rendue carrossable sous le 1er Empire (1807). Quant à la douane italienne un peu plus loin, elle sera moins réticente que sa voisine française, tout simplement "allez, passez" sans zèle. On s'en donne ensuite à cœur joie dans la descente sur Cesana Torinese, dépourvue de tout flux automobile, celui-ci étant coincé à la douane. Guère le temps de souffler (pourtant nous l'avons!) que nous entamons déjà la montée du Colle di Sestrière, un morceau de choix, celui-là, avec ses dix kilomètres de long pour une élévation de 690 mètres, et dont les inscriptions au sol ne cachent guère que le Tour de France est passé par là. Au sommet, à 2033 m d'altitude, il est grand temps de se ravitailler, car au delà, nous sommes proche d'un univers inconnu. Fruits, légumes et yaourts garniront notre panse, à l'ombre, au bord d'un mince filet de cascade. Nous sommes déjà engagés dans cette fameuse route militaire italienne des crêtes de l'Assietta empruntée par la Randonnée Alpine Côte d'Azur-Léman. Dans le Colle Basset 2424m, la principale difficulté de cet itinéraire carrossable et non muletier comme certaines langues l'envisageraient, il faut bien faire la distinction. Evidemment le terrain est semé de cailloux, la pente est irrégulière et il faut jouer l'équilibriste dans chaque lacet, mais enfin... Quant à Xavier, son pédalage fougueux ne me permet pas de rester en contact avec lui, premier avertissement et petit coup de pompe. Au sommet, le vent frais souffle avec vigueur et la vue est assez étendue sur ces sommets chauves de toute végétation. Ce n'est pas non plus les quelques "pétarades" d'engins motorisés qui vont rompre le silence régnant de main de maître. "Acqua", "Acqua", ce refrain, échappe de temps à l'autre de notre bouche, mais désespérément, point d'eau dans le voisinage hostile et sauvage ; comble de malheur mon bidon est percé. Au-delà, la route épouse la ligne de faîte qui suit, en dents de scie nullement aiguisées, les points les plus élevés. La récolte à proprement parler, débute : Colle Bourget 2299m, Colle di Costa Piana 2313m, ... Côte Plate ... curieux nom pour un col dont la vue en contrebas est saisissante. Puis les nuages commencent à voiler le ciel, la température effectue une chute vertigineuse, obligeant Xavier à revêtir son Gore-Tex. Ensuite, nous débouchons entre deux murets sur le rude versant escarpé du Colle Lauson 2497m, suivi du Colle 2483m qui n'a pas encore trouvé d'identité. C'est au Colle dell'Assietta 2472m que nous laissons de côté la route classique, pour suivre un autre tracé qui va nous mener nul ne sait où, peut-être au but du monde. La chaussée reste caillouteuse jusqu'au Colle del Gran Serin 2540m pour ensuite aboutir aux remarquables forts du Gran Serin. Au-delà, la montagne prend progressivement le dessus sur la piste. Une extrême prudence est de rigueur sur cette sente étroite et parfois périlleuse. Ce n'est pourtant pas l'enfer comme on pourrait le croire, mais bien le paradis et nous embrassons un vaste panorama où le coup d'œil vaut bien son pesant d'or. On a la sensation de toucher le ciel et si cela ne tenait qu'à nous, on s'élancerait comme des oiseaux. On avale ensuite, sans trop savoir leurs emplacements, le Colle di Vallon Creux 2552m, Colle delle Vallette 2551m, face à l'imposante cime du même nom, puis c'est avec quelques difficultés à pied (fatigue ou état du terrain?) que nous atteignons le point culminant de la journée le Colle della Vecchia (appelé aussi Colle di Vallon Barbier) 2605m, au pied de la Cima Ciantiplagna 2849m. Nous consultons régulièrement nos montres, car nous ne voudrions pas arriver tard au premier hôtel sur l'itinéraire, situé à Meana, en retrait de Susa de trois kilomètres (je n'avais pas pu réserver dans Susa, la ville étape prévue à l'origine). |
Le plus dur est passé, la descente qui doit nous rapprocher du Colle delle Finestre semble du gâteau à première vue, mais les apparences sont trompeuses et nous devrons très vite revoir notre jugement, nous avons droit à un bon chemin pour mulets, assez dangereux et nous devons prendre des risques à travers une brume envahissante, pour éviter les crevasses. Soudain, oh! Miracle! ... une fontaine. Ce n'est pas un mirage! Rendez-vous compte: trois heures passées sans eau... Ce1a commençait à devenir long. Nous retrouvons à présent la route classique et ses rares voitures au niveau du Colle delle Finestre 2176m, pour aussitôt, sans même jeter un dernier regard derrière nous sur ce chef d'œuvre, nous engager dans la descente carrossable bien que pas encore goudronnée. Le bitume fera son apparition plus tard au niveau de la forêt, au Colletto di Meana 1455m, que nous traversons grâce à une multitude de lacets incomparables. Il est 18h3O, nous avons bouclé 90 kilomètres et l'albergo Bellavista est charmant, à l'abri de tous regards, un bon accueil en français, un excellent repas, et une bonne nuit (le contraire aurait été surprenant). On ne pouvait rêver mieux. Dimanche 16 août : 62 kilomètres Pour le retour sur Briançon, nous ne sommes nullement pressés par le temps, mon train pour Paris n'est que le soir à 20 heures et le car de Xavier pour le Jura, le lendemain. Nous avons donc entièrement le choix entre les trois solutions qui se présentent à nous: la première par le Colle di Chaberton 2761m (IGN 2674m), un muletier peu connu, mais haut-lieu célèbre historiquement (une bonne carte est alors nécessaire pour le repérer), la seconde par le Col de l'Echelle 1766m et la troisième par le Col de Montgenèvre 1850m, l'itinéraire direct prévu en cas de mauvais temps. Si les distances des trois se valent, il n'en va pas de même de la difficulté, mais cela n'influence pas notre choix et nous optons pour le Chaberton (le plus dur, évidemment !), car le temps est magnifique et un "2000" vaut mieux qu'un "1000". Quoi de mieux que de démarrer par une descente pour nous rapprocher de Susa que nous évitons de ce côté-là. Il est encore tôt et il y a peu de circulation, ce qui nous arrange bien, car nous sommes sur le grand axe qui se disloquera plus tard en deux directions célèbres, la vallée de la Maurienne et celle du Briançonnais. La vallée est intéressante et la chaussée monte parfois avec rigueur, mais quoi de plus normal, il faut bien les effectuer ces 800 mètres d'élévation bitumée qui mènent au pied du Chaberton! Nous nous ravitaillons des mêmes "engrais" que la veille (fruits, légumes et yaourts), avant d'apercevoir au loin, sa seigneurie le Chaberton, cerné en son sommet, des créneaux de ses batteries. C'est au village du Fenils 1276m, là où s'écarte la grande route, que le Génie italien a tracé une route géniale où le temps n'a plus aucune valeur. On s'engage alors à travers une autre dimension qui, en réalité, est une piste stratégique au revêtement douteux non entretenue depuis belle lurette. 10h30, à peine quelques tour de roues sur le plus petit développement, que nous posons déjà pied à terre, la pente devenant de plus en plus forte rendant quasiment impossible, le fait de tenir sur son VTT. Pourtant, nous l'enfourchons de temps à autre, à travers des bois de mélèzes, dans un calme et une solitude totale. Pour le moment, l'eau ne manque pas et nous profitons pleinement des fontaines et autres ruisselets. 12 heures, à la cote 1769 mètres, derniers ravitaillement sous bois, puis notre progression continue, tantôt en vélo, tantôt à pied, en nous évertuant à trouver dans la montagne, le passage qui nous donnera accès au sommet. Vers 2000 mètres, là où la végétation a disparu, ce n'est carrément plus cyclable, le 4x4 ne passe plus, les motos à la rigueur, mais la pente est plutôt faite pour des mulets ou des engins chenillés.. Même à pied, ce n'est pas du gâteau ! L'échine courbée, le front trempé par la sueur due au soleil ardent, poussant le vélo, nous progressons à présent au flanc de la montagne. Le passage devient délicat et périlleux sur cette corniche renforcée de poutrelles et de fer rouillé, là où est justement située la frontière franco-italienne imaginaire. Nous sommes proches du but. Dans un cirque de falaise, l'ascension semble s'achever par des terrifiants lacets qui nous obligent même à reculer! Il est 15h30 et nous ne savons pas trop où est situé le col. L'avons nous dépassé? Un marcheur nous affirmera que oui, ce qui nous soulagera bien, car si nous ne l'avions pas vu nous aurions poursuivi notre chemin jusqu'au sommet du Monte Chaberton 3130m, 500 mètres plus haut, mais en trois kilomètres seulement. Vu l'heure, nous n'avons plus le temps d'effectuer l'aller-retour et pourtant le sommet est passionnant avec son fort le plus haut d'Europe. Pour la descente, nous avons déjà des renseignements: nous savons entre autre qu'il est quasiment impossible de l'effectuer en VTT. Un sentier abrupt et dangereux où le dérapage est plus ou moins contrôlé et avec au menu des crevasses à sauter et quelques éboulis à franchir. Les "promeneurs du dimanche" montent, quant à eux, par ce sentier depuis Montgenèvre qui est plus court que par le versant italien, pas étonnés de voir des cyclistes en ce lieu. Ils ne nous adressent pas la parole et nous ignorent totalement. C'est chacun dans son coin! Au bas du sentier, nous retrouvons enfin la route, toujours non asphaltée, mais beaucoup plus à notre convenance où nous pouvons enfin apprécier le charme du Vélo Tout Terrain. C'est ensuite le Vallon des Baisses et à travers les alpages nous rejoignons le Col de Montgenèvre où Xavier hurle sa joie, sa tâche achevée. Une dernière descente en direction de Briançon et c'est la conclusion de cet extravagant week-end. Que de souvenirs garderons-nous de ce périple où nous avons côtoyé le sublime ! Seule la montagne peut susciter en nous une telle allégresse, une telle jubilation de liberté et tant de sensations. Maintenant que la voie est tracée, vous y êtes cordialement invités. Un bon VTT, un peu de courage et, comme nous, beaucoup de chance avec la météo. Ainsi vous pourrez ajouter 13 plus de 2000 mètres à votre palmarès.. Charles WINTER N°1835 Levallois-Sporting-Club (Hauts de Seine) |