Les montagnes ne se rencontrent pas. Ceux qui les gravissent, à défaut de se rencontrer sur des routes pentues, ont parfois une étrange coïncidence dans leurs pensées. Ainsi presque au même moment ou Rolland ROMERO faisait trotter sa plume, de mon côté sur un cahier de route j'écrivais : "Te souviens-tu Jeannot? c'était lors de nos "joyeuses pédalées dans les BARONNIES et que belle était "la vie. Te souviens-tu des palabres, à MONTBRUN! "avec nos deux bons vieux amis. Ils caricaturaient "si bien le monde et nous enchan- taient par leurs "simples mais si justes propos..." C'était à MONTBRUN - la - VERTICALE. Il y avait, face à la mairie une petite place déjà accrochée à la pente. Place partagée entre voitures et surtout pétanqueurs. Au hasard de nos chasses aux cols, nous laissions notre voiture à l'ombre des feuillages pour la retrouver en fin de journée, au retour de nos pérégrinations. C'était toujours en septembre. Dans l'air trônaient les vapeurs de lavande largement distribuées par les distilleries aussi fumantes qu'odorantes. Sur cette fraîche placette, sagement la voiture nous attendait en goûtant peut-être tour à tour le calme de la matinée puis les rires et les éclats de voix des adeptes de la petite boule. Et aussi, sous le regard de deux bons retraités qui siégeaient, une grande partie de la journée, sur un banc de bois. C'était là leur domaine! Au soir, rentrant de notre première randonnée en ce pays, ils n'avaient pas tardé à nous questionner sur notre provenance, quand bien même le 74 de la voiture leur avait déjà mis la puce à l'oreille. - Alors ?... on vient faire de la bicyclette chez nous ? disait l'un des deux, ajoutant : il y a pourtant de beaux coins en Savoie. Poursuivant l'amarrage des vélos sur le toit de la voiture, Jeannot de répondre : - vous savez, les routes c'est comme les femmes, on croit toujours que les plus belles sont ailleurs... C'était parti... - C'est pour ça que vous laissez les vôtres à la maison... et moi de répondre : - Elles ne sont pas loin : au BUIS. Elles nous préparent une soupe au pistou (1) . Le deuxième quidam de poursuivre avec son chaud "assent" - Au moins vous, vous savez les occuper à de saines besognes. Mais la soupe au pistou c'est pas du savoyard ? - Nous on ne fait pas de la gastronomie raciste.. tout ce qui est bon y passe! fut ma réponse. Les vélos étaient chargés. Nous allions embarquer. C'est alors que l'un des deux vieux reprit : - Vous avez bien le temps. La soupe au Pistou c'est pas en cinq minutes qu'elle se fait. Et puis si vos femmes sont "bazarettes" (2) et que des rigolos sont venus leur faire conversation faut pas vous presser.. vous risquez d'être en arrivant de corvée aux "pluches"! C'était une invitation. Alors on a pris place sur le banc de bois. Celui des deux qui semblait être le plus âgé, encore qu'il avait le regard aussi pétillant qu'une braise de chêne-vert, s'adressait à Jeannot : - Té le jeune, va chercher de l'eau à la fontaine là, à côté. Laisse couler un moment dans le pot pour rafraîchir, on va vous offrir un anis-maison, fabrication clandestine. Et si tout à l'heure les flics qui sont souvent planqués au carrefour de REILHANETTE vous font souffler.. motus vous ne direz pas où vous avez dégusté... Juré ! De la "biasse" (3) accrochée au dos du banc, l'autre sortait une bouteille contenant le jaune breuvage. Ni du 51, ni du Ricard, ni du CASA... mais du véritable "made in MONTBRUN" Divine boisson Après le col de MACUEGNE, le désert d'ALBION, après L'HOMME MORT, c'était la résurrection. Et la conversation de continuer.. continuer. Si bien qu'une fois partis, car il fallait bien rentrer et avoir passé REILHANETTE (sans avoir vu les flics) nous devions mettre les phares pour franchir le col des AYRES puis celui de FONTAUBE après avoir vu scintiller les premières lumières de BRANTES. Quant à la soupe au pistou... elle restait à faire. Le vieux de MONTBRUN avait la vista ! Les femmes étaient allées avec les enfants à la piscine. Et la piscine n'était pas proche. On en rencontrait du monde en allant puis en revenant. Bon... nous avons fait chauffer... l'ouvre-boîte pour calmer les appels au secours de nos estomacs, affirmant à ces dames que ces sacrés cols des BARONNIES nous avaient refilé un appétit de moine en fin de carême. Sans toutefois mentionner le vaste "creux" causé par les "pastagas". Et Jeannot prenant le ton de sincérité qui est de mise pour un bon avocat concluait : - Vous ne trouvez pas, Père, que l'eau de la fontaine de MONTBRUN possède des vertus fortement apéritives ? Là, un ange a passé. Ainsi pendant encore deux septembre de suite nous avons retrouvé nos bons amis de MONTBRUN. Or, même si nos itinéraires cyclos n'avaient pas toujours ce magnifique village comme plaque tournante, nous nous arrangions pour y passer plusieurs fois. Avec dans le coffre de la voiture quelques bonnes bouteilles pour trinquer et même pour faire glisser de solides casse-croûtes. |
Et les discussions allaient bon train. Grâce à la verve de nos deux amis cela était un régal. Tout passait en revue, ça brocardait ferme ! de la politique (sauce humour) aux sports et bien entendu le sexe féminin qui occupait encore largement l'esprit, sinon le corps de nos deux gaillards. Il y en avait un qui durant l'hiver, touché par la maladie, avait dû faire un séjour forcé dans un hôpital de Marseille. Il en avait ramené, avec la santé, que les bons et croustillants souvenirs. Heureuse nature ! L'autre nous parlait "d'en haut", de la SAVOIE, ayant une fois avec une mémorable virée de pompiers, osé s'expatrier jusqu'à Annecy et même... Genève. Mais il était perdu avec les itinéraires suivis. Grâce à mes "MICHELIN" déployées sur le capot de la voiture, je lui donnais une éblouissante (!) leçon de géo, lui faisant comprendre que la Haute Savoie, l'Ain et la SUISSE c'est du presque tout comme ! . . . raison pour laquelle il nous voyait parfois en 74 ou en 0l mais pas en GE/CH because la frontière! Bref... pastis et côtes du Ventoux à l'appui, une bonne amitié était née entre nous quatre. Ce qu'ils n'arrivaient pas à comprendre c'était notre soif (d'un autre genre) d'escalader les cols à vélo. Surtout Jeannot. Pour un avocat c'était pas... convenable! - Vous vous mettez minables. A forcer comme des "bulldozer" (tout de même... et notre style si aérien !) vous n'arriverez jamais à la retraite. Prenez exemple sur nous. On n'est pas mieux à l'ombre sur notre banc? Et pas moyen de leur faire admettre que moi j'étais déjà retraité. - Si c'est vrai, tu as pas dû casser trois pattes aux canards pendant ta carrière pour être encore si frais (j'étais flatté) Quand arrivait notre ultime passage aux derniers jours de septembre c'était le (les) pastis des au revoirs. - Salut les amis, à l'année prochaine. Et surtout pas de folies. Revenez costauds car le VENTOUX faut pas compter sur nous pour le raboter. A moins qu'il se F... dedans avec leurs sacrés engins nichés sur ALBION ! Et l'année suivante nous sommes revenus. Lors d'une première randonnée à vélo nous avions remonté l'OUVEZE, basculé au col de PERTY, passé celui de St-Jean pour descendre sur MEVOUILLON et grimper au col d'AULAN. Puis, par les gorges du TOULOURENC nous retrouvions MONTBRUN. Il faisait lourd. Nous avons gagné la petite place où nous savions que sur le banc de bois, nos deux vieux copains seraient là. Le banc était vide! Plus haut, les pétanqueurs faisaient " péter " les carreaux. D'autres admiraient ou ricanaient. Nous avons approché et questionné. - Ouais pardi, on vous reconnaît, vous êtes les Savoyards. - Pas de chance vos copains sont plus là, y'en a un qui est à côté... au cimetière. L'autre il vaut guère mieux. Alors ils l'ont foutu dans une boite de vieux du côté de MALAUCENE. Ah... basta ! L'eau fraîche de la fontaine chantait. On a rempli les bidons, enfourché les vélos. En passant à REILHANETTE, il y avait deux flics au carrefour. Ça nous a donné un poids au coeur. Le soir arrivait. Après le col des AYRES nous nous sommes arrêtés pour goûter, une fois de plus, la beauté de BRANTES et la magistrale domination du VENTOUX. Et cela n'avait pas le même charme. Après le faux-plat c'était FONTAUBE, le DERBOUS, presque à sec, nous amenait à COSTE. Au BUIS, la table était installée dans le jardin. Il y avait une odorante soupe au pistou. Pourtant... Une des femmes a dit : - On croirait qu'elle n'est pas bonne cette soupe, vous n'en mangez presque pas ? - l'avocat a repris son air très sincère, décrétant : - Il a fait si chaud dans les cols, alors nous avons bu beaucoup de flotte et.. ça gonfle ! Demain elle sera appréciée votre soupe... Tous les deux nous sommes allés nous allonger dans l'herbe. En face de nous, la vertigineuse arête du St-JULIEN fermait l'horizon, mais nous étions sur le banc de bois de MONT-BRUN, écoutant encore les bons mots de nos vieux copains. Et la nuit est tombée... Dans le TOULOURENC, l'ANARY, les eaux bondissantes ont continué à cascader vers l'OUVEZE. Avec nos amis de MONTBRUN, d'autres êtres plus proches encore sont partis. Ce n'était plus un au-revoir mais un Adieu. Il n'y a plus eu, pour nous, de SEPTEMBRE dans les BARONNIES. "Te souviens-tu Jeannot "C'était lors de nos joyeuses pédalées...". (1) soupe au pistou : soupe au basilic avec bien d'autres (bonnes) choses (2) femmes très bavardes (3) besace Paul MAILLET N°856 Bellegarde (Ain) |