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1936

Revue N° 22 Page 18

1936 - Année de l'instauration des congés payés sous le front populaire ~qui vient de remporter les élections législatives. Disposant de 15 jours de vacances, je m'inscris avec quatre autres sociétaires de la section de Lille du Touring Club de France à la 5ème semaine du Circuit de France organisée par le TCF sur le parcours Nice-Evian. L'itinéraire est laissé au choix des participants. La seule obligation consiste au passage obligatoire aux trois sites du col du Lautaret, de Flumet et du Grand Bornand.

Nous étions 202 cyclos au départ de Nice, venant de tous les coins de l'hexagone et aussi deux belges. Tandis que trois lillois avaient adopté l'itinéraire le plus court, j'avais avec André Laurent, choisi au contraire le chemin le plus long passant par les grands cols et par les sites les plus prestigieux.
Nous n'avions aucune expérience de la haute montagne. Tout au plus avais-je cinq ans plus tôt rayonné durant trois journées dans les Vosges. C'est donc un parcours très accidenté que nous avons réalisé. Nous nous retrouvâmes ainsi à Gattières, à Vence, à Gourdon, aux gorges du Loup, à Gréolières, à Trigance, aux gorges du Verdon, à Castellane, aux gorges de Cians, à Benil, à Guillaumes, au col des Champs, notre premier 2000, un muletier car la route n'allait pas plus loin que Chastelonnette et qui nous provoqua le lendemain de sérieux troubles intestinaux consécutifs à l'absorption de l'eau des sources de la monté du col.

Il faisait si chaud et c'était si agréable! Ce furent ensuite le col d'Allos précédé du muletier menant au lac d'Allos, le Parpaillon, aller-retour, le tunnel au sommet étant complètement obstrué par la neige très tardive en 1936, Maurin, le col de Vars, St-Veran, le col d'lzoard, Briançon, Ailefroide et le Pré de Madame CarIe, vers les Écrins, le col du Lautaret, le col du Galibier par la mémorable ancienne route et son tunnel et enfin la vallée de la Maurienne pour atteindre Bonneval sur Arc et escalader le col de l'Iseran où nous vécûmes sans doute la journée la plus marquante de notre activité cyclo.

Le col de l'Iseran se trouvait donc à notre programme et cinq cyclos seulement parmi les 202 inscrits l'avaient en prévision. Déjà à la sortie de St Michel de Maurienne, des organisateurs nous attendaient. Nous songeons, d'abord, à un contrôle secret, mais c'était pour nous inciter à ne pas emprunter le col, celui-ci étant impraticable en raison de l'épaisseur de neige. Bien entendu nous n'écoutons pas ces bons conseils et nous voici à Bonneval qui est déjà à 1830 m. Nous trouvons d'abord une route à peu près abordable mais qui cesse de l'être après deux ou trois kilomètres d'ascension. Nous poussons le vélo pendant 300 ou 400 mètres puis la neige devenant plus épaisse nous sommes obligés de le coltiner, ce qui n'est pas une sinécure quand on songe qu'il est lesté d'une sacoche très garnie à l'avant et de sacs arrière non moins garnis.

Nous ne progressons pas tout à fait au hasard car l'on devine le col de loin, mais néanmoins nous zigzaguons pour trouver ou espérer trouver l'accès le moins pénible. Le tout est rendu plus difficile par les semelles ultra lisses de nos souliers cyclistes. Alors que nous éprouvons les plus grandes difficultés à progresser nous croisons une équipe de randonneurs pédestres portant l'un des leurs sur une civière. Nous voyant avec nos vélos, ils nous conseillent le demi-tour prenant leur blessé comme critère de l'impossibilité de parvenir au sommet avec les bicyclettes.
Mais, nous étions jeunes, nous étions inconscients, peut-être quelque peu fanfarons et nous étions dans cet ISERAN tant convoité ! Et nous poursuivons notre ascension non sans que nos marcheurs nous fixent le petit mouvement rotatif de l'index sur la tempe, marquant notre degré de folie! Et nous pâtissons de plus belle dans cette nature hostile. Dans les passages les plus risqués, il n'est pas rare de gravir quelques mètres pour en dégringoler ensuite le double. La progression est très lente et alors que l'on commence à distinguer le chalet tout en haut, deux montagnards surgirent d'on ne sait où, nous rejoignant et nous proposant de porter nos bicyclettes. Tant pis si notre amour propre en prend un coup, mais nous acceptons. Eux portant nos vélos, nous libérés de tout, nous nous faisons néanmoins mettre une demi-heure dans la vue. Quand nous abordons le refuge nous y trouvons une dizaine de montagnards, y compris nos deux porteurs. Ils nous font fête et nous assurent que nous sommes les premiers à franchir le col dans ces conditions. Cela nous vaut une collation gratuite et bien nécessaire après cette aventure.

Mais nous ne pouvons nous attarder car il est déjà bien tard et nous avons prévu le logement à Bourg St Maurice. Après avoir remercié nos hôtes nous terminons les derniers mètres d'ascension. Là au sommet, nous éprouvons une satisfaction extrême du haut de ces 2770 m qui fut durant de très longues années notre toit. Les premiers kilomètres de la descente ne nous rassurèrent pas davantage. S'il n'y avait plus à se hisser et à hisser le vélo, il y avait un problème d'équilibre sur la neige verglacée. Mais se laisser glisser avec le vélo est plus rapide que d'escalader.

Et nous avons la surprise après trois ou quatre kilomètres de trouver une route dégagée par le chasse-neige nous permettant de se mettre en selle et de descendre prudemment, d'abord, entre deux hauts murs de neige. Et nous avons enfin la route sèche qui nous fait accélérer l'allure. Nous passons à Val d'Isère et à Tignes où l'on ne parlait pas encore de barrage. Quel changement avec le paysage actuel ! Nous atteignons enfin Bourg St Maurice, mais il était temps car le soir tombe; Ouf! quelle journée ! Notre circuit se poursuivit encore par le col du Cormet de Roselend en muletier depuis les Chapieux, le Défilé d'Entre-roches, les gorges de l'Arly, Flumet, le col et l'Abbaye de Tamié, Annecy, le Grand Bornand, le col de la Colombière en muletier car il n'y avait pas la moindre trace de route depuis le minuscule hameau de Venay, Cluses, Samoëns, le fer à cheval de Sixt, les Gets, le Praz de Lys, la vallée d'Abondance, le lac de Montriond, Thonon, les châteaux de Larringes et de Ripaille et Evian. Sans compter le lendemain matin avant le bouquet terminal, l'ascension de la Dent d'Oche (2222 m) dont les derniers kilomètres à pied !

Maurice VERTONGEN N°1009

Tournai (Belgique)


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