Les cyclo-montagnards connaissent bien le Parpaillon, c'est un col d'une difficulté exceptionnelle dont lenom est étroitement lié à l'histoire du cyclotourisme. Il relie les vallées de l'Ubaye et de la Durance, mettant en communication Embrun et Barcelonnette. Escaladé à partir d'Embrun, c'est à dire par le versant Ouest et Nord-Ouest, cet obstacle représente une élévation de 1 775m en 27 km (6,55% de moyenne) tandis que le versant Sud, Sud-Est correspond à une dénivellation de 1340m en 17 km (moyenne: 7,9%). Mais en de nombreux points la pente dépasse 10 et même 13%. (extrait des cahiers du cycle, LES COLS DURS). La route et le tunnel du Parpaillon, altitude 2650 m furent achevés en 1901. Paul de Vivie (VELOCIO) franchit ce col en 1903 et y retourna en 1909. Dès 1930 le groupe montagnard Parisien lança une "campagne du Parpaillon" qui porta ses fruits puisque 29 cyclotouristes allèrent découvrir ce col en 1930, et 54 en 1931. C'est de cette époque que date "la légende du Parpaillon"... Mais ce n'est qu'en 1970 qu'un Auxilois eut la curiosité d'aller à la découverte de ce col magnifique ! J'ai eu la chance de pouvoir escalader le Parpaillon à cinq reprises depuis 1970: trois fois par le versant Ubaye, au départ de la Condamine-Chatelard et deux fois côté Crévoux. J'ai une préférence pour le versant Ubaye. Au départ, la petite route revêtue s'élève sèchement vers le hameau de Ste Anne, dernier endroit habité avant Crévoux, entre les deux villages 25km dont 20 dans une caillasse où il est parfois difficile de rouler. Mais le spectacle est là: c'est d'abord une belle forêt de mélèzes traversée de torrents que l'on franchit sur des ponts de bois, puis d'immenses pâturages peuplés de troupeaux de moutons (et aussi de marmottes) enfin vers les 2000 m le décor devient aride, désertique, c'est le domaine de la roche, puis on atteint le long tunnel obscur qu'il faut traverser, le plus souvent à pieds pour éviter le bris d'une roue dans l'un des nombreux "nids de poule"... Versant Crévoux on retrouve un peu les mêmes décors, tout de même moins attrayants à mon avis, et naturellement dans l'ordre inverse. Cette présentation succincte du Parpaillon effectuée, je voudrais maintenant vous conter l'aventure qui nous est arrivée en 1978, alors que nous effectuions un voyage d'Albertville à Gap en franchissant quelques "monuments" des Alpes. Jugez-en: Cormet de Roselend, Iseran, Télégraphe, Galibier, Route de la Bérarde, Lautaret, Izoard, Vars et.. Parpaillon. Cette année là, il avait neigé tardivement et les grands cols avaient été ouverts quelques jours seulement avant notre passage début juillet. Iseran, Roselend et Galibier étaient franchis entre d'imposants murs de neige et le spectacle était un enchantement permanent. Lorsque à la Condamine nous entreprenons l'ascension du Parpaillon nous ignorons si ce col est ouvert ou fermé, comme il ne présente pas d'intérêt pour le commun des touristes en raison de l'état de la route, il y a fort à penser que la seconde option a tout lieu d'être la bonne (si l'on peut dire). Mais notre enthousiasme est sans limite : montons toujours, nous verrons bien !... Le passage du Parpaillon que je fais découvrir à mes trois compagnons de route constitue le point d'orgue de ce voyage et grande serait notre déception si nous devions faire demi-tour. A hauteur de Ste Anne nous doublons un marcheur très bien équipé, il va aussi vers le col, nous ne soupçonnions pas à ce moment là que quelques heures plus tard son aide serait déterminante pour franchir le tunnel... Voici la fontaine, c'est dans les années chaudes le dernier point d'eau avant Crévoux, mais en cette année 1978 avec les chutes de neige récentes et le retard de la fonte il y a de l'eau partout. Notre progression est lente, toutefois jusque la sortie de la forêt baignée d'un beau soleil nous pouvons encore utiliser normalement nos machines. Plus haut, dans la caillasse, nous nous transformons en marcheurs, le sentier est défoncé, effondré, de gros blocs de rochers obstruent le passage. Dans le décor grandiose de la montagne du Parpaillon on se sent tout petit, isolé dans un calme absolu rompu de temps à autre par le bruit d'une cascade, le cri d'un oiseau ou d'une marmotte. A partir de 2000 mères environ la neige occupe une partie du sentier, et c'est alors que nous allons vivre une aventure peu banale, une épopée qui compte dans la carrière d'un cyclotouriste... Quelques passages neigeux franchis sans difficultés, nous nous trouvons devant un névé que nous franchissons tant bien que mal avec les chaussures cyclistes qui ne demandent qu'à glisser et les vélos chargés de bagage pesant chacun 25 kgs. Au bout d'une heure à traîner ou porter notre matériel nous rencontrons une pente de neige d'au moins 150 mères, très inclinée et parsemée de rochers, le découragement nous envahit, que faire, retourner et refaire en sens inverse un chemin sur lequel nous avons tant peiné ou continuer en prenant le risque que notre voyage se termine en tragédie. |
C'est alors que survient le marcheur providentiel rencontré à Ste Anne. Notre aventure l'amuse un peu, il nous offre gentiment de faire une trace la plus large possible à l'aide de ses lourdes chaussures qu'il enfonce profondément à chaque pas. Après de nombreux efforts et un temps qui nous semble interminable notre "guide" nous annonce qu'il aperçoit le tunnel, ou plutôt le sommet du tunnel car il se trouve presque entièrement enseveli sous la neige. Nouveau moment d'angoisse. Avons-nous fait ce difficile parcours pour rien, faudra-t-il que nous fassions demi-tour? Nous approchons du tunnel pour constater que la porte est fermée mais que l'on peut tout de même y pénétrer par un portillon. Il nous faudra descendre les vélos à l'aide d'une corde que possède notre dévoué marcheur. Sitôt dit, sitôt fait... Et nous prenons le même chemin. Nous nous engageons dans ce trou noir faiblement éclairé par I' une de nos torches. Nous progressons prudemment sur la glace qui cède bientôt sous notre poids dans un craquement sinistre et nous pataugeons dans 30 à 40 cm d'eau glacée avec nos chaussures cyclistes et nos socquettes blanches que la situation rend ridicules, subissant le choc des blocs de glace épais contre nos mollets et nos chevilles douloureusement meurtris. Tout en progressant lentement, péniblement, un doute affreux nous envahit: et si l'autre portillon était condamné, si le passage s'avérait impossible, il nous faudrait faire demi-tour, nous nous serions donnés tout ce mal pour rien? La longueur du tunnel doit être de 5 à 600 mètres, il faudra bien 15 à 20 minutes pour en atteindre l'extrémité. Enfin nous y sommes, il était temps car une angoisse proche de la panique commençait à nous dominer dans cette galerie obscure et glacée. Un trait de lumière nous redonne espoir, le portillon est entrouvert mais insuffisamment pour laisser passer les bicyclettes. Le piolet de notre ami permet de dégager cette petite porte coincée dans la glace tandis que l'un d'entre nous, s'arc-boutant contre la paroi pousse de toutes ses forces avec les pieds. Puis nous hissons le matériel au sommet du mur de neige et de glace et quittons définitivement et sans regret ce tunnel. Alors, dans l'immense montagne toute blanche, sous la chaleur du soleil retrouvé, les nerfs se décrispent et le comique de la situation prend le dessus... Des marcheurs nous observent de loin, ahuris sans doute de voir des gens, et surtout des cyclistes émerger brusquement au milieu du champ de neige... De l'endroit où ils se trouvent le tunnel est invisible! La suite de cette équipée se transforme en partie de rigolade, tantôt nous nous laissons glisser le long des pentes neigeuses appuyés sur nos machines, tantôt nous enfourchons le vélo dont les roues s'enfoncent de 10 centimètres, exercice dans lequel certains se montrent particulièrement brillants. Nous retrouvons bientôt le sentier qui nous emmène à Crévoux où cette folle aventure peut enfin être consignée sur le "livre d'or" du Parpaillon. Ce résultat nous le devons en majeure partie au sympathique randonneur que le hasard a mis sur notre route et auquel nous pouvons adresser un grand merci. Les photos et le film rapportés de ce merveilleux voyage ont pris une place de choix dans nos archives de cyclotouristes. Dans les années qui ont suivi, l'occasion m'a été donnée à deux reprises de franchir à nouveau le Parpaillon mais dans des conditions "normales", c'est à dire sur une route sèche conduisant à un tunnel ouvert et parfaitement dégagé. Toutefois, la beauté du décor dans sa grande sauvagerie ne parvenait plus à captiver mon attention comme lors de mes premiers passages. Mon esprit était ailleurs, perdu dans les neiges de 1978. En mars dernier, la chaîne de télévision ARTE a diffusé un film sur l'ascension du Parpaillon par un groupe de cyclistes. Plus humoristes que cyclotouristes , les "acteurs" s'en sont donnés à coeur joie dans un enchaînement de gags et de scènes cocasses. Mais surtout, la route du col et les paysages très bien mis en images depuis Embrun jusqu'au tunnel nous ont rappelé de bons souvenirs. Abel LEQUIEN de Willencourt (Pas-de-Calais) |