Page 26 Sommaire de la revue N° 22 Page 30

Valle di Fraele: exploitation d'un "Topo 2" (1)

Revue N° 22 Page 28

Bientôt nous quitterons la route de Bormio où se ruent les automobilistes pressés, Italiens ou non. Ce matin nous allons bon train cependant. La vallée est encore plongée dan l'ombre. Le torrent qui gronde à notre gauche nous apporte une fraîcheur humide. De l'autre côté, sur son promontoire, un village brun, presque médiéval nous salue. Déjà devant nous s'ouvre la plaine verte de Bormio. Sans tarder, presque vivement nous quittons la nationale et le vacarme des travaux de construction de l'autoroute. Pourtant, l'été, Bormio est une ville charmante et animée, ouverte aux promeneurs. Nous la visitions hier.

A Premadio nous faisons l'ouverture de l'épicerie et le divertissement de la fille de la maison. Notre italien est fantomatique et son français évasif, mais le charme et plus encore le soin de la clientèle sont de toutes les langues. Ce gracieux sourire pourtant n'a rien de vénal. Les musettes pleines, le soleil nous réchauffe. Tout de suite nous montons et le goudron finit. La journée commence vraiment et nous sommes économes de nos forces, attentifs au rythme à trouver. La piste large et bien damée serait parfaitement agréable sans les quelques véhicules qui nous passent et nous noient dans la poussière. Ce sont des touristes italiens animés par la perspective d'un pique nique au bord des lacs. Plus tard nous les retrouverons allongés dans l'herbe.

La montagne qui nous domine évoque irrésistiblement un puissant château fort. Les murailles rocheuses, abruptes presque verticales émergent d'une assise large et régulière tapissée d'un vert soutenu. A la jonction des deux s'étend un champ de pierres grises; éboulis géants jetés pour la défense de ce château formidable par quelque colosse. Au fond des douves s'étire la station de Valdidentro et son torrent. Au-dessus de nous, nous apercevons l'échancrure du col. Le Torri di Fraele est une profonde blessure qui coupe la crête et se signale par deux tours quadrangulaires bien appareillées. Sans doute sont-elles d'une époque reculée, mais elles ont été maintes fois remaniées, réutilisées pour protéger la frontière toute proche. Elles occupent une situation stratégique et tiennent le passage de Valdidentro. Vers le haut la route d'accès se distingue à peine sur le contrefort rocheux.

Avec persévérance je discerne enfin une succession de tunnels et les créneaux des parapets. Autour de nous quelques prairies, quelques arbres chétifs encore, puis les cailloux envahissent les abords. Chacun a réglé son allure. Maintenant je suis seul entrevoyant seulement à la faveur d'un lacet qui est devant qui est derrière. Pour peu de temps ; un italien enthousiaste à VTT me rattrape. Il se plaint ou me flatte de ce que je roule vite. En tous cas les virages se succèdent et nous parlons de la montagne, du vélo, de l'Europe, de Paris, des siens, chacun dans sa langue; deux soeurs en vérité. Au col ses enfants et sa voiture l'attendent. Adieu l'ami et merci pour l'aide que tu m'apporteras demain, chez ce vélociste où je changerai ma cuvette fixe cassée dans le Stelvio.

Pour l'heure nous contemplons la vallée. Puis réunis nous atteignons presque sans effort la Bochetta (2). Ce col a perdu presque tout prestige depuis que le lac artificiel di Cancan comble la vallée de laquelle il livrait le passage. Le paysage semble très bien s'accommoder des aménagements des hommes. A l'ouest le lac est barré par le barrage à grands appuis de béton du lac supérieur, le Lao di S. Giacomo. Tout autour l'horizon est occupé des hautes cimes arides qui forment la frontière avec la Suisse. La remontée des lacs est aisée et la route en terre très roulante. Nous empruntons le barrage pour gagner l'autre rive.

Ce passage nous transit, une bise froide descend la vallée. De l'autre côté un petit nuage se forme au-dessous de la cataracte de la vanne de trop plein. Rapidement et sans témoin nous atteignons le fond de vallée que limite le passo di Fraele. Nous y reviendrons après une excursion jusqu'au Passo Val Mora. Le chemin, interdit à tous véhicules à moteur, qui y mène, traverse un immense pierrier de torrent puis un petit sous bois moussu, fleuri, ensoleillé, charmant. Quelle bonne idée, Philippe crève.

Au col après un bref regard sur le chemin à chèvres venu de Suisse nous faisons demi-tour.

Nous rejoignons le lac di S. Giacomo où quelques touristes pique-niquent malgré un petit vent frais. Une table est restée libre et nous l'occupons. En ce début d'après -midi la température est agréable et nous atteignons bientôt les 2000 mètres d'altitude; par un chemin qui serpente nous montons rapidement au milieu des conifères. De temps en temps un petit torrent nous tient compagnie. Peu à peu les sapins se clairsèment; le sous bois verdoyant laisse place à un éparpillement de roches qui étincellent. Au fond du val notre chemin se fraye un passage nonchalant entre éboulis et petits lacs.
Vers le haut du col, le chemin s'attarde et gagne lentement presque à regret quelques mètres d'altitude encore. Au Passo di Valle Alpisella des promeneurs montent de l'autre versant depuis Livigno. Désolés mademoiselle vous ne retrouverez pas votre gîte si vous descendez de l'autre côté. En revanche nous si, enfin peut être car à descendre trop vite sur les cailloux on crève plus souvent. De nouveau nous retrouvons le lac et continuons d'en faire le tour. Le long du chemin une source moussue coule en une multitude de petits filets. Tant pis les bidons sont vides et l'un de nous l'écrivit: il faut boire. D'ailleurs grand merci à toi, riante source, mon robinet parisien hélas ne te fait pas oublier.

Nous remontons l'étroite valle Pettini. A l'entrée, nous franchissons vélo sur l'épaule un petit pont rudimentaire fait de rondins. Si j'osais, Philippe tu pourrais peut être repasser pour une photo pour le concours fédéral. Merci... et sans rancune, à cette époque je ne savais pas encore!

La pente s'exagère autant que la sente se réduit. Il nous faut pousser le vélo. Le chemin à droite nous semble trop étroit et trop raide, aussi nous le délaissons. Dommage car il mène directement à la Bochetta (Valle lunga et de là au Passo di val Trela). Mais "Topo 2" disait à gauche, donc... En ce qui concerne la grandeur du paysage, on ne perd rien. Un chemin très cyclable dès que plus plat, progresse en corniche à l'aplomb des gorges d'un petit torrent. Nous débouchons de cet univers minéral sur le verdoyant Val Trela, large et profonde cuvette où repose une bergerie isolée. Nous gagnons la maison et un berger nous salue.

Si vous passez par là, achetez votre fromage avant de poursuivre car on ne repasse pas toujours même si on le prévoit. Il n'y a plus de chemin, du moins plus de façon continue. Restent une trace ténue d'herbe foulée, un imperceptible tassement du sol. Le vélo repose une fois encore sur nos épaules. Je tiens à préciser qu'un VTT en ferait tout autant. Il nous faut contourner un marécage. Depuis longtemps il n'y a plus d'arbre, mais sur le versant exposé au sud l'herbe se raréfie à son tour.

Nous rejoignons le petit chemin pédestre qui descend de la Bochetta Valle lunga. Devant, Didier montre du doigt un champ d'edelweiss, derrière, Thierry oublie le marais mais repère, bien au-dessus de nous sur la crête, un groupe de chamois; un petit mouvement d'équilibriste sur le vélo nous conduit jusqu'au Passo di Val Trela. Nous savourons le paysage, surtout la cuvette de Trela dont nous devons encore joindre deux de ses pointes. Puisqu'il n'y a plus de chemin réellement praticable mais une multitude de sentes à bestiaux; nous décidons de suivre la courbe de niveau.

Au-dessous de nous un troupeau de vaches brunes regagne la bergerie. Le temps s'écoule. Nous progressons lentement freinés par un éboulis ou un pli de terrain. Enfin le Passo Trelina s'ouvre sur un autre val, un autre monde. Devant nous s'étale une petite plaine humide, marécageuse qui morcelle en d'innombrables îlots un petit ruisseau. Tout autour, la rudesse des montagnes sèches sert d'écrin à ce havre de fraîcheur.

Hélas pour la Bocche di Trela nous redescendrons par là. Mais le ruisseau se fait torrent et la descente s'avère abrupte. Elle sera courte cependant en compagnie d'un autre troupeau et de son berger, cow-boy Spaghetti sorti de nulle part. Nous retrouvons une route carrossable et mes camarades filent déjà sur ce ruban étincelant au soleil couchant. Encore un instant et ils ne sont plus que trois points qui se détachent sur les glaciers du Piazzi, de l'autre côté de Valdidentro. Le temps de photographier et de rêver et je glisse à mon tour longuement puis vivement vers Bormio.

1 - Cf. page 37 Topo 2
2 - Col 1955 m non signalé sur topo 2 mais repéré sur carte TCI D67

Gilles BODIN N°3091

CyclosTouristes Parisiens


Page 26 Sommaire de la revue N° 22 Page 30