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Après un dimanche de Pentecôte bien rempli: 236 km par les cols de la Cayolle, Champs et Allos, je décide d'accompagner Raymonde dans l'ascension de son 51ème col. Nous quittons Embrun sous un soleil généreux et empruntons pendant quelques kilomètres la route conduisant au Parpaillon. Arrivés à hauteur de St André, un panneau indicateur nous invite dans la forêt de Saluce; Tantôt dans les mélèzes, tantôt par un chemin en corniche, nous gravissons peu à peu le col de la Coche en profitant de splendides panoramas sur le lac de Serre Ponçon et les courbes harmonieuses de la Durance. C'est vers 13 h que nous atteignons les 1781 mètres du sommet.

Si la randonnée est terminée pour Raymonde, celle-ci a deviné mes intentions: les cols de Valbelle et de Chérine sont à quelques coups de pédales et elle sait que j'affectionne particulièrement les "2000".

Malgré une monture peu appropriée à ce genre d'expédition (vélo de course, pneus de 22, pédales automatiques, 42-26), un esprit d'ouverture et de liberté me pousse vers de nouvelles conquêtes.

La piste est relativement roulante les premiers kilomètres, et ce n'est pas un "portage" de 100 mètres qui va me décourager! Pra-Mouton n'est déjà plus qu'un souvenir lorsque je rencontre un garde forestier: " Vous espérez arriver à Risoul ?" "Ben oui, pourquoi pas ?" "Le chemin est mauvais et quelques torrents le traversent".

Dis donc, j'en ai vu d'autres: la caillasse au col de Cristol, une tempête de neige en plein novembre au Par-paillon... Il me fait sourire ce brave homme, d'autant plus que 500 mères plus loin un pipi de coccinelle me barre la route. J'accélère et hop le tour est joué!

Poursuivant mon petit bonhomme de chemin, la nature se montre vraiment généreuse. Loin des grands boulevards tels que Vars et Izoard je découvre une montagne authentique par ses alpages, ses cascades, sa flore et la présence de mes petites fi-filles les marmottes m'incite à siffloter. Pour ces derniers instants de vacances, je suis noyé de soleil et de ciel bleu, bref je suis sur mon nuage.

Tout à coup à la sortie d'un virage j'aperçois un torrent:

"Oh, il a l'air sérieux celui-là" Effectivement après avoir délaissé mon "cheval" dans le talus je constate les dégâts. Impossible de le franchir. Je lance une grosse pierre dans l'eau, le courant l'emporte aussitôt.

En descendant le long du torrent j'espère trouver un passage. Les chaussures munies de cales et le vélo sur le dos rendent mes déplacements difficiles et la pente abrupte n'arrange rien.
Après une bonne 1/2 heure je suis prêt à jeter l'éponge puis me vient une idée ou plutôt une folie. Au lieu de l'éponge c'est mon vélo que je vais jeter par-dessus la flotte! Ah oui ça c'est une bonne idée! Je prends la précaution de trouver un passage beaucoup plus haut dans la montagne; ça y est ! J'y suis. Mon Dieu et s'il y a de la casse? Ouf! Que d'émotions. Cette fois mon 56ème 2000 est annoncé. La pente s'accentue mais peu importe j'ai retrouvé le moral. Sur un panneau indiquant le chemin parcouru je lis "piste très dangereuse - vous circulez à vos risques et périls". Le plus dur semble passé. Quelques marcheurs cassent la croûte près d'un refuge et malgré un dernier passage humide (vélo sur le dos, chaussures et chaussettes à la main) je pose mes roues au col de Valbelle.

De suite je suis intrigué par la neige sur le versant nord. Retourner à Embrun par le même chemin ? Certainement pas.

Surtout que des traces de pneus sont très visibles dans la gadoue. Ici impossible de rouler. Après un tournant sur la gauche c'est la catastrophe. Que de neige ! La montagne à gauche, la neige au centre, le ravin à droite. Et pourtant ça doit passer: des traces de pas et de vélos. Je progresse péniblement. Un pied à la fois, m'agrippant avec la main gauche dans la neige et portant le vélo au bout de mon bras droit dans le vide, je vis des moments de détresse. J'ai envie de crier au secours, mais à quoi bon?

Je suis tout seul. Lâcher mon vélo est peut-être la solution pour m'en sortir; Cols, montagnes, paysages ne comptent plus. Même les marmottes ne sont plus que de vulgaires cabots croisés le dimanche matin ! Il faut me sauver. Heureusement Raymonde sait où je me suis aventuré. Je pense aux émissions de Télévision "la nuit des héros, les marches de la gloire".

Si je tombe, seul l'hélicoptère peut me trouver. Dans quelques heures, je verrai peut-être les sauveteurs de Briançon. Après maints efforts je parviens à me dégager. J'aurai encore quelques frayeurs avec de la neige jusqu'aux genoux et de superbes glissades dans la boue, mais je perds de l'altitude. Je franchis le col de Chérine et retrouve enfin une route en meilleur état.

A présent je plonge à plus de 70 km/h vers Guillestre. Mais qui sont les cinglés à s'être aventurés du côté du col de Valbelle en cette fin de mois de mai ???

A. MASUY N°2990

Embrun (Hautes-Alpes)


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