La nature se pare de sa chatoyante palette de couleurs automnales. Une nappe de brume diaphane chevauche la vallée puis se déforme pour céder le passage à un trait de soleil oblique et brutal qui éblouit le cycliste à la sortie de l'ombre. Après brevets, diagonales et flèches le randonneur éprouve, dès septembre, l'annuelle envie d'un calme pédalistique pour mieux profiter des décors d'une merveilleuse saison. C'est aussi l'époque des échanges amicaux, des "communions" au sein des nombreuses Confréries Fédérales, dans des sites agrestes toujours bien choisis. Que partagent-ils donc de commun ces soixante cyclistes rassemblés, sous un ciel bleu profond, en ce dimanche de septembre, en ce carrefour tarnais du modeste col de Caunan ? Certes, il y a les montures obligatoirement en 650, mais il y a surtout autre chose, car on ne construit pas une communauté vivante à dimension nationale à partir d'un critère uniquement technique ! Il y a, tout simplement l'Amitié (avec un A majuscule) qui unit des cyclistes partageant une éthique de vie profondément ancrée dans une pratique alliant sport, élégance morale, passion de la nature et des sites. Ce sont d'ailleurs ces valeurs auxquelles je suis attaché qui ont convaincu le vieux cycliste éclectique que je suis, le diamètre de la roue ayant seulement constitué l'obligatoire passeport pour adhérer. De Brassac dans le Tarn, à Saint Laurent de Cerdans dans les Pyrénées Orientales... il n'y a qu'un pas et que deux semaines franchis allégrement par le duo ruthénois. Les bogues des châtaigniers ont enflé cependant car elles ne peuvent plus retenir leurs fruits qui, par saccades, au gré du zéphyr méditerranéen, vont joncher la chaussée humide. Le "Colombien de Rodez", avec une aisance rare, "coule" élégamment dans les lacets. De Pla Boulat à Notre Dame Del Coll, il "glisse" sur un 28x26 en effleurant la multitude de collades orientalement pyrénéens. Loin derrière, "Sauveterre" dont le turbo a explosé lors d'une sortie printanière, se hisse avec acharnement vers des sommets, faciles pourtant, sur des braquets jusqu'alors inusités ! Des rives du Tech capricieux, ils ont cyclé dans l'épaisse forêt de Fonfrède pour redescendre dans la vallée, puis remonter parmi des vignes parvenues au terme de leur gestation vinique. Taillet, Payrou, Fourtou (Tiens ! un col approchant les 650m, et qui pourrait atteindre cette altitude emblématique avec l'aimable complicité d'un altimètre pas trop sérieux!) Une route étroite mais fraîchement gravillonnée, conduit, à travers une forêt de chênes, à la chapelle de Notre Dame del Coll. Halte méridienne dans une auberge bien cachée par une végétation méridionale des environs de Caixas dans ce havre de calme et de bonne cuisine, grande fut notre surprise d'être accueillis chaleureusement par un propriétaire... flamand. |
Après une succession de petits cols, le village fortifié de Castelmou vaut bien une halte. Puis, se faufilant dans les vignobles, avec une dextérité invraisemblable, par une route en lacets, le "Colombien" semblait emporté par les effluves des crus en fermentation. Au dernier rayon du soleil disparaissant derrière le massif, les compères parvenaient à Amélie les Bains. Vite, changement de tenue et cap, en voiture, vers Saint Laurent de Cerdans. Difficile de s'extirper d'un lit douillet même au prix d'un dernier bâillement libérateur de sommeil non consommé. Déjà le soleil dessine nettement les ombres sur les flancs du massif. Sur les rives de la rivière, des badauds s'ébrouent dans la fraîcheur matinale en inspirant profondément. La station thermale s'éveille tandis que les "650B" se rassemblent aux portes d'Amélie. Un regard rapide sur l'abbaye carolingienne d'Arles sur Tech et brusquement, les rampes en corniche sollicitent de modestes braquets. Paysages magnifiques du pays catalan, défilant trop vite pour que la mémoire en enregistre les détails : Corsavy, Montferrer, gorges impressionnantes du Fou, forêt ininterrompues de châtaigniers ; toutes ces curiosités se mêlant dans une profusion d'odeurs particulières et fortes, propres à cette saison. Serra-Longue, bien sûr : au pied du célèbre micocoulier de la Liberté, on s'accorde une plongée dans l'histoire tout en découvrant un panorama circulaire allant des sommets enneigés du Canigou au bleu de la Méditerranée. Au Conjurador, on imagine quelque officiant exorcisant notre temps trop rapide qui ne permet plus aux Hommes de regarder les merveilles naturelles qui les environnent. Ambiance très chaleureuse pour ce rassemblement des 650B sous un soleil presque estival et dans un site enchanteur. Mais il fallait bien rentrer car si le parcours était bref, il n'était pas dénué de quelques difficultés. Dans la douceur de l'après midi, le groupe s'éloigne des "Casottes", avec regret pour se dégriser sur les hauteurs dominant St Laurent de Cerdans. Un chemin sablonneux mène au col de Noell (918m) puis au Mas de la Boudelle qui offre un beau panorama sur la baie de Rosas. La route sinueuse domine les vertigineuses Gorges de Mondovy dans un site mêlant les chênes liège et les roches tremblantes aux couleurs variées ; c'est magnifique. Les derniers rayons de soleil caressent les cimes du Canigou lorsque s'ouvre la vallée sur la belle cité d'Amélie les Bains, terme d'une randonnée inoubliable. Puisse notre "Confrérie", malgré sa marginalité, agir et faire réagir, avec d'autres groupes affichant les mêmes idéaux, usant d'armes pacifiques similaires - souvent dérisoires mais toujours symboliques - face à un conformisme généralisé "affadisseur d'existences". Jean BARRIE N°308 de CAMPUAC (Aveyron) |