Page 35 Sommaire de la revue N° 26 Page 38

Col : Etymologie, définition

Revue N° 26 Page 36

J'ai entrepris ce travail sur l'étymologie et la définition du mot col espérant intéresser les passionnés de la Confrérie qui comme Abel Lequien et André Dumas, collectionneurs de cols, se demandaient pourquoi l'on ne trouvait pas dans le livre "8500 cols en France" l'origine et la définition de ce mot : ETYMOLOGIE.

Col vient du latin collum dans le sens de cou. Ce mot attesté vers le Xème siècle en français, ne sera utilisé dans son sens géographique qu'à partir du XVIIème siècle, remplaçant l'ancien français port. Il fut utilisé dès les XVème et XVIème dans des sens tels que col de vessie, puis col d'un vase.

Port vient d'une racine indo-européenne per-"traverser" qui donnera en latin portus "passage", attesté dès le Xème siècle en ancien français (90 exemples pyrénéens dans le Chauvot).

Pas vient du latin pandere, passus , utilisé dès le XIème siècle dans le sens de passage, défilé. Littré donne le sens de "passage étroit et difficile dans une montagne" (également pertuis et seuil). Le Dictionnaire historique de la langue française, signale que dès 1160, pas désigne un passage difficile souvent qualifié par l'ancien adjectif "mal" origine de nos malpas ; remplacé (XIIIème siècle) par mauvais d'où nos mauvais pas et maupas ; il s'étendra à la désignation de détroit (1530) ou de défilé (1559), valeurs vieillies, sauf en toponymie : pas de Calais, pas de Suse.

Baisse du latin bassus donnera bassiare puis baisser au XIème siècle et enfin baisse au XVIème siècle. Littré donne "terrain affaissé", sans référence à la montagne. Depuis quand désigne-t-il un col ? On en trouve principalement dans les Alpes Maritimes (212 exemples dans le Chauvot).

Brèche attesté en français en 1119 viendrait du haut allemand brecha "fracture" issu du francique breka "fracture ouverture" (211 exemples dans le Chauvot).

Passage (1080) dérivé du verbe passer (1050) du latin tardif passare "traverser". Il a désigné un défilé en montagne, un port; il en reste de très nombreux exemples (118 citations dans le Chauvot).

Défilé (1643) est issu du latin filum "fil" donnant filare en bas latin (vers 1160) signifie alors passage encaissé (où l'on ne peut passer qu'à la file).

Détroit est issu, d'abord sous la forme destreit (1080) du latin districtus "empêché, enchaîné". Le mot, d'abord adjectif, a qualifié un passage étroit resserré (les destreiz passages ). Il garde ce sens jusqu'au XVIIème siècle où le sens moderne de bras de mer resserré s'impose.

Beaucoup de termes, synonymes de col(*), ne doivent rien au français, issus des patois et dialectes de nos 3 domaines romans (oïl, oc et franco-provençal) ou de nos langues régionales (alsacien, basque, breton, catalan, corse, ...) ils n'ont pas droit de cité dans nos dictionnaires classiques, mais guère plus dans ceux de géographie.

DÉFINITION

Voici quelques exemples des définitions obtenues en consultant des dictionnaires classiques :

1 - Petit et Grand Robert : "Dépression formant passage entre deux sommets montagneux", voir brèche, défilé, détroit, gorge, pas, port . Se reportant à ces termes, dont certains (défilé, détroit, gorge ) n'évoquent plus pour nous l'idée de col, nous avons l'impression de tourner en rond : à brèche , aucune référence géographique ; à défilé, rien non plus, mais renvoi à couloir et passage qui, eux, évoquent le col ; à gorge , renvoi à cañon , col, couloir et porte ; à pas , qui nous est si familier, aucune référence géographique non plus; seul port bénéficie de la mention : "col des Pyrénées" et si l'on consulte à porte, enfin une définition géographique: "passage étroit dans une région montagneuse", ce qui ne correspond pas toujours à la réalité (en Isère, le col de Porte n'est pas précisément un passage étroit).

2 - Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française : le sens col de montagne (1635), suivant la définition donnée par le Grand Robert, a éliminé peu à peu les anciens termes port, pas (qui se disait d'un passage difficile) et détroit qui ont tous pris et gardé d'autres sens.

3 - Littré : (4ème définition sur 8) "Point d'une chaîne de montagne où le faîte, faisant une inflexion, offre un passage d'un versant à l'autre, entre les points d'attache de deux contreforts".

4 - Larousse du XXème siècle : "Partie déprimée d'une arête montagneuse permettant de passer d'un versant de la montagne à l'autre ". Syn.: défilé, détroit, gorge, pas . Le pas est un passage difficile pouvant avoir le sens de col. Dans un paragraphe "géographie" il est dit que la formation des cols est dû à l'action des torrents qui déterminent l'abaissement de la crête séparative." ! Il définît des cols d'amont (ligne de faîte entre deux vallées de direction opposée) et des cols de flancs (ligne de faîte entre deux vallées plus ou moins parallèles). Tout ceci semble pour le moins curieux.

5 - Larousse : "Partie déprimée d'une crête montagneuse, utilisée comme passage".

Aucune de ces définitions ne parait vraiment satisfaisante à un chasseur de cols qui a rencontré des situations tellement variées, la dernière me semblant la moins mauvaise.

Voyons maintenant ce que disent les dictionnaires de géographie.
Première recherche (dictionnaire géographique de chez Hatier): "Quand une ligne de crête s'abaisse pour ensuite remonter, elle forme un "col". Bien !
Seconde recherche (dictionnaire critique de la Documentation Française : les mots de la géographie): "Point déprimé entre deux sommets, ensellement sur une crête, facilitant le passage" Ensellement est défini, dans ce même ouvrage, comme un "creux assez ample dans le profil d'une crête, d'un relief allongé, à l'image du dos du cheval".

On trouve également dans ce dictionnaire les quelques précisions suivantes :
a) "Tout col est duel : en creux par rapport à la ligne de crête, en relief par rapport à la route, il sépare soit deux monts soit deux vallées; en cheminant sur la crête on descend vers le col, par la route on le gravit". Voici une observation évidente et pourtant combien de fois avons-nous reçu des lettres nous demandant si tel col avait bien été franchi dans cette situation pourtant inévitable, ... sauf à franchir les cols en repartant de la vallée la plus proche.
b) "Les cols marquent parfois la traversée d'une frontière". Ici le terme frontière doit être pris dans le sens très général de limite de département, de canton, de commune, etc. et non pas seulement frontière d'état, situations, qu'en effet, l'on observe très fréquemment
c) "Les cols se situent souvent dans des zones structurales faibles (roches tendres, lignes de faille)". Données géomorphologiques plus convaincantes que l'action des torrents (ne pas confondre avec l'action du ruissellement, tout à fait déterminante).
d) "Collet : petit col ". Cette mention du terme collet, dans son acceptation géographique, est intéressante car aucun des dictionnaires cités précédemment ne l'indiquait, alors que ce terme apparaît à 202 reprises dans le Chauvot !
Par contre, l'on ne trouve dans aucun dictionnaire l'utilisation de ce terme dans le sens de "colline", pourtant sans doute deux fois plus fréquent que dans celui de col pour de nombreuses régions telles que les Hautes Alpes et la Provence. Pas terme le plus répandu après celui de col, (868 exemples dans la Chauvot) ; passage, 6ème terme le plus répandu : (118 exemples dans le Chauvot) ; passe (5 exemples dans le Chauvot) se dit en général en français d'un col très élevé et peu accessible, sont des synonymes de col, proches du pass anglais ou allemand et l'on remarque alors que la fonction l'emporte sur la forme.

Quant à la centaine d'autres termes figurant dans notre Chauvot, ils sont totalement ignorés ainsi que la seconde centaine(1) découverte dans les guides, glossaires, etc. ou auprès des habitants de nos régions montagneuses; termes locaux superbement ignorés des topographes "d'oïl et de goguette" qui ont établi nos cartes en les parsemant de mentions tautologiques.

Au terme de cet examen, on peut conclure qu'un col se caractérise donc par :
a) un passage préférentiel entre deux zones (val, vallon, vallée, etc.),
b) une structure de dimension très variable (allant du point au creux assez ample). Peut-on aller plus loin ? Serait-il intéressant de se lancer dans une typologie des cols (cf. Ch. Guitton dans notre revue) déterminant des cols de ligne de crête, de flanc, de fond de synclinal, de combes, d'entre deux cirques, de jointure d'arêtes ainsi que des brèches de crêtes et d'arêtes et tout ceci pour conclure que sa liste pouvait encore se poursuivre, mais que tout cela ne servait pas à grand chose !

La difficulté éprouvée à définir ce qu'est un col, réside sans doute dans la diversité des logiques en présence. Il semble que l'on puisse en définir quatre :
1) la logique populaire , ici la notion de col est inséparable, d'une forme de relief caractéristique (affaissement sur une crête), mais aussi de la présence d'une voie de communication (de la route carrossable au simple sentier) introduisant une double notion historique et géographique.
2) la logique scientifique des géographes : un col existe s'il obéit aux critères des formes du relief définis par la discipline (dépression sur une crête, formant passage, inscrit ou non dans l'histoire).
3) la logique des nomenclateurs (les 1er, ceux des cartes militaires) qui, tout en s'appuyant sur le témoignage populaire, privilégient le point de vue national pour la dénomination; ils étaient, souvent, ignorants des parlers locaux et plus ou moins bien formés aux définitions scientifiques.
4) la logique des "rectificateurs" (membres des sociétés alpines), connaisseurs de la montagne, parfois des dialectes; prenant le parti des autochtones, restituant alors assez fidèlement les appellatifs et les noms propres populaires ; dans un souci de donner une apparence de scientificité à leur pratique, tendant parfois à instituer leurs conception et choix de dénominations, pratique poussée à l'absurde, accordant le statut de col à des dépressions infranchissables par le commun des mortels.

Une confusion des genres est née de ce concept improvisé, variable suivant les régions. L'essentiel de l'arbitraire des cartes porte sur le choix du déterminant (col, pas, brèche, collet, etc., ou rien du tout) et le problème concerne moins la montagne, que les piémonts où le choix de nommer "col" l'un des passages historiques entre deux localités relève de l'arbitraire. Pourquoi celui-ci et pas son voisin aussi "col" que lui ? D'où les frustrations de membres de la Confrérie. Les cartes sont lacunaires, particulièrement pour ce qui concerne les cols secondaires ou les passages tombés en désuétude. Il serait difficile, mais pas sans intérêt, dans une perspective de restauration du patrimoine, de se lancer dans un inventaire plus exhaustif des passages de moyenne et basse montagne, c'est à dire dans une cartographie se donnant pour objectif, sur la base de documentations (cartes anciennes, cadastres actuels ou anciens, chroniques ou guides locaux, etc.), de restituer les cols oubliés.

Remarque participant autant de l'étymologie que de la définition. Pour un moderne, un col est un point bas dans une chaîne de montagne, pour un Romain ou un Gallo-romain, c'était au contraire le point le plus haut d'un itinéraire. Cette remarque, illustrée par des exemples tels que: Gravus mons sur la table de Peutinger (col de Cabre actuel), Mont Iseran sur la carte de Cassini (col de l'Iseran) ou Mont Sion (col de Sion), point le plus haut de la route Genève-Annecy, justifie l'introduction de mont et mons dans le glossaire où figurent déjà leurs équivalents tels que le basque "mendi" ou le gascon "cap".

Au sujet des listes de cols étrangers
Il me semble dommageable de prendre une position radicale : l'alignement du contenu des listes des autres pays sur la règle du jeu française (il ne s'agirait alors plus de règle du jeu, mais bien de règlement). Une telle décision cartésienne me parait incompatible avec la liberté de décision et les sensibilités spécifiques des collègues étrangers et n'aurait d'ailleurs que peu de chances de s'imposer. Ayant reconnu que l'existence d'un col, sa définition, pour autant que l'on puisse en dégager une, doit plus à des notions culturelles qu'à une définition géographico-morphologique précise, il est surprenant de vouloir des critères locaux à un ensemble relevant d'autres modes culturels. Pourquoi refuser à l'Autriche son mode de détermination des cols s'il s'avère qu'elle ne possède pas de tradition de nomination des cols analogue à la notre ? Un pays comme la Norvège dispose-t-il d'une cartographie identique à ce que l'IGN peut nous offrir ? Les traditions toponymiques belges, anglaises, écossaises, irlandaises, etc. sont-elles suffisamment proches des nôtres pour y appliquer la "règle du jeu" ? La France s'est taillée une solide réputation, ses idées doivent s'imposer auprès des "peuplades" environnantes n'ayant pas eu la chance de connaître le génie français. Une tentative de colonisation, même intellectuelle, ne semble pas la solution idéale. Elle apparaît comme antinomique des fondements de notre tradition et relever plus des modes de raisonnement du 19ème siècle que de ceux du proche 21 ème. J'ose espérer que nous adopterons, une position libérale en ce domaine.

Ce sujet mériterait d'autres développements, de nombreux commentaires, s'il vous intéresse n'hésitez donc pas à me faire part de vos réflexions ou de vos interrogations, je m'efforcerai d'y répondre.

(*) une ou deux centaines suivant que l'on se réfère au glossaire établi à partir du "Chauvot" où à celui que j'ai obtenu à partir de sources extérieures (voir mon article "Comment appeler un col en France ?")

Michel de BREBISSON N°1315

de MEYLAN (Isère)


Page 35 Sommaire de la revue N° 26 Page 38