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La cime de la Bonette : grandiose panorama !

Revue N° 26 Page 76

Non, je ne vais pas vous raconter l'apocalypse de la randonnée du Mercantour 97, mais une (petite) aventure qui montre que, même en plein été, le col de la Bonette peut réserver des surprises.

"Grandiose panorama sur le Pelvoux, les sommets du Queyras, le Viso, les Alpes Méridionales et les Préalpes de Digne" nous dit le guide Michelin. "Le col de la Bonette n'est pas un col difficile, les pourcentages sont élevés, mais sans plus, et très réguliers, surtout du côté Nord", ainsi le décrit l'Atlas Altigraph des cols des Alpes.

A la recherche d'un "plus de 2000" pour valider ma deuxième centaines de cols, alléché par ces commentaires auxquels l'un de mes beaux-frères avait ajouté une description enthousiaste, je me décidais à l'affronter.

Vers 9 heures, j'étais à pied d'oeuvre : maillot léger, K-way autour des reins en cas de pluie (on ne sait jamais), quelques provisions dans la "banane", et en avant.

Pas de problème particulier et, tout à gauche ou presque, je prends mon rythme habituel de 600 m/h de vitesse ascensionnelle? la forêt d'abord, puis les arbres se font rares et les pâturages prennent leur place. De grands panneaux jalonnent la route tous les kilomètres : au moins, on sait où on en est et on se voit progresser. Vers le 12 ème kilomètre, juste au moment où un replat permet de relancer la machine, quelques gouttes de pluie se font sentir. Un regard vers les hauteurs montre que le plafond nuageux est aux environs de 2500 m et que le "grandiose panorama" risque de n'être pas au rendez-vous. Ce n'est pas bien grave.

Ce qui l'est plus, c'est que la pluie s'intensifie et que le K-way semble n'être que d'une efficacité très incertaine. Le souvenir de quelques BCMF bien arrosés (les Aravis en 1982, les Vosges en 1986, les Volcans d'Auvergne en 1991) me font penser que j'en ai déjà vu d'autres.

Mais la situation ne s'arrange pas, un abri serait le bienvenu. Voici justement la caserne de Restefond. De vastes hangars me protègent efficacement de la pluie, mais, arrêté, le froid me gagne. Quelle imprévoyance de n'être pas plus couvert ! Tout compte fait, je choisis la pluie plutôt que ce froid qui insidieusement me pénètre de plus en plus. De toute façon, si je veux atteindre le col... Certes, je pourrais faire demi tour avant d'être complètement gelé, l'enthousiasme et le moral sont en baisse, mais je ne suis pas venu jusque là, à quelques kilomètres du but, pour capituler.
J'entre bientôt dans les nuages et la visibilité ne dépassera pas plus de 50 mètres, la circulation n'est heureusement pas dense mas il suffirait d'une seule voiture ! J'avoue que je commence à le trouver saumâtre même si c'est de l'eau douce qui tombe du ciel. Quand, après un passage presque plat, une brèche dans la montagne m'apprend que j'ai atteint le col ! enfin .... Reste la boucle qui contourne la cime. Mais quel intérêt par ce temps ! L'idée qu'un bar me permettra de m'y réchauffer m'incite, à pied, à vélo, à continuer. Un compagnon de galère, un italien surgit de la brume au col. J'étais bien naïf de croire que le bar serait ouvert ! Maintenant le pire est qu'il faut redescendre. Je suis définitivement frigorifié, j'ai vraiment conscience de prendre des risques mais à quoi servirait d'attendre ! d'attendre quoi ? d'attendre que le temps se lève me parait exclu. La vallée tout là-bas sera un paradis quand j'y arriverai !

Les doigts crispés sur les poignées de frein, le vélo agité de soubresauts dont je ne sais s'ils sont dus à mon grelottement ou aux inégalités de la chaussée. Je descends à moins de 20 à l'heure. Au passage, je ferai le détour jusqu'à la pancarte du col de Restefond par un sentier boueux avant de reprendre cette descente calvaire.

A mi-descente, un restaurant dont j'ai oublié le nom est par miracle ouvert. Un feu brûle dans la cheminée près duquel je prendrai à grand peine quelque chaleur. J'ai les doigts si gourds que je n'ai pas enlevé ni mon casque, ni mon K-way et que j'ai dû ouvrir mon porte-monnaie avec les dents pour payer le thé brûlant qui m'avait un peu réconforté.

Me suis-je arrêté un quart d'heure? une demi-heure ? Je ne sais plus. Il faut repartir, recommencer à grelotter, freiner à mort à chaque épingle, et la pluie glaciale est toujours là. A 2 km de Jausiers je croise un quatuor qui attaque la montée. Bon courage... Enfin ma voiture, encore 10 minutes à claquer des dents avant de sentir le sang circuler à nouveau. Je mange, je bois, progressivement je ressuscite...

J'ai bien mérité ce 10ème plus de "2000" mais je me sens frustré. Je reviendrai pour voir le "grandiose panorama" pourquoi pas par le sud pour changer ! et par beau temps !

Bernard MARLY N°2981

de CHATOU (Yvelines)


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