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Les fâchés du grand Colombier

Revue N° 28 Page 18

Hauteville, charmante bourgade du Haut Bugey accueillait en ce dernier dimanche de printemps les quelques 830 randonneurs venus sacrifier au traditionnel pèlerinage du premier Brevet Cyclo Montagnard de l'année. Parmi eux, quatre sociétaires des Cyclotouristes Angoumoisins, dont deux "cents cols", en provenance de leur lointaine Charente pour affronter les pentes des confins du Jura et des Alpes.

Les années aidant, nos quatre compères avaient choisi de privilégier la convivialité au détriment de la vélocité même si, la cinquantaine sonnée, ils ne s'en laissent pas encore compter lorsqu'il s'agit d'affronter les longues distances. Ne venaient-ils pas de rallier Angoulême à Guillaumes dans le Mercantour, soit 1100 km et 20 cols, cela en six jours ! Autant dire que les 220 km de ce BCMF ne les effrayaient guère, d'autant qu'ils avaient prévu de parcourir la distance sur deux jours, en catégorie "touriste" afin de profiter du paysage et de la table du soir.

C'est pourquoi, en ce samedi ensoleillé, ils n'étaient pas pressés de rallier le départ, préférant musarder encore un peu à la terrasse du café local tandis que les premiers cyclos s'élançaient déjà en direction du col de la Berche, pas bien méchant celui-là, pour une mise en jambe. Ce n'est que vers les 13h15 qu'ils se décidèrent enfin à enfourcher leurs impatientes machines en pronostiquant une arrivée aux environs de 17h 30, d'autant que l'organisation les avait logés dans un hôtel situé en marge du parcours, qui se trouvait de la sorte tronqué de quelques kilomètres, distance qu'il faudrait bien couvrir le lendemain afin d'aller pointer au contrôle de Chanaz.

La journée se passa fort agréablement ma foi, partagée entre la découverte des magnifiques points de vue, notamment sur la vallée du Rhône, et le franchissement des quatre cols au programme qui ne les amenèrent pas sur des sommets vertigineux puisqu'il fallut attendre le col de Portes pour tutoyer les 1000m. Néanmoins, le contrôle de Chauchay, passé le col d'Evosges d'où on pouvait profiter d'une vue panoramique sur le cirque et le village d'Oncieu, fut l'occasion de quelques libations très appréciées. Le col de Fay fut une simple formalité, suivi du col de Portes qui marquait donc le sommet de la journée. Un nouveau ravitaillement, judicieusement placé à Ordonnaz, était bien achalandé en ce milieu d'après-midi compte tenu de la qualité de la prestation, qui, outre les traditionnels fruits secs et autre pain d'épice, proposait saucisson et vin rouge. Nous nous y attardâmes un bon moment afin d'honorer ce saint lieu, en attendant "Bibi" qui avait pris son temps, et sans doute son pied dans l'ascension du col.

Une nuit calme nous attendait à Artemare en compagnie de 24 autres randonneurs qui avaient eu comme nous la chance d'être logés dans un bel établissement classé deux étoiles. Quelques uns arrivèrent un peu tard après avoir erré dans la campagne environnante ; d'autres, plus chanceux, ou plus malins, avaient emporté avec eux la carte "Michelin" et, comme ils ont aussi une langue, ils s'étaient fait confirmer leur chemin par des indigènes très serviables rencontrés à Contrevoz. Ils étaient depuis longtemps douchés et désaltérés lorsqu'arrivèrent les derniers "paumés" de la journée, pouffant et râlant à l'encontre des organisateurs qui, sans doute, étaient coupables de négligence en n'ayant pas affecté un chaperon à chaque randonneur, charge à lui de le border et d'éteindre la lumière avant de sortir. Jusqu'à deux jolies cyclotes, à qui nous faisions de grands gestes en sirotant notre bière tandis qu'elles passaient devant l'hôtel, cherchant visiblement leur hébergement ; croyant sans doute se faire draguer sans vergogne par de vieux "machins" alcooliques, elles dédaignèrent notre aide et partirent à l'aventure, perdant une bonne heure de repos ; et ce ne furent pas les dernières à râler contre l'organisation... Oubliant que c'est dans les vieux pots...

Encore moins amènes furent des riverains (?) de la route du marais de Chanaz en ce dimanche matin. Après avoir pointé les cartes de routes, un peloton étiré d'une cinquantaine de randonneurs rejoignait Culoz en empruntant la petite route entre le marais et le Rhône lorsque, brusquement, l'alerte à la crevaison fut donnée par plusieurs cyclos se trouvant subitement "cloués" sur place, provoquant l'hilarité imbécile de quelques hurluberlus plantés non loin de là sur la place du hameau ; des rouges, des vertes, des bleues, elles étaient de toutes les couleurs les punaises qui ornaient les pneus des malchanceux qui percèrent pour certains d'entre eux jusqu'à trois fois en quelques centaines de mètres ! Le groupe dans lequel nous nous trouvions compta une bonne vingtaine de crevaisons immédiates en l'espace de quelques hectomètres ; quelques autres, croyant avoir échappé au maléfice, ne découvrirent l'étendue des dégâts que plusieurs km plus loin. L'un des participants découvrit même une punaise sur sa roue arrière ... au sommet du Grand Colombier ! Il l'ôta en pestant, libérant le doux chuintement du pneu qui se dégonfla. Quant à nous, à l'évidence pas malchanceux du tout, nous traversâmes l'écueil sans pépin, bien calés en queue de peloton...
Cela tombait bien car le Grand Colombier était justement le clou de la randonnée, une sacrée épine qui devait en principe être escaladée par Culoz si un éboulement n'avait barré la route au dernier moment. Les fâchés, les "fêlés" et les autres durent donc aborder l'ascension par la face Est qui n'est pas des plus faciles avec ses pentes souvent proches de 10 %, pouvant atteindre 14 % dans certains secteurs. Quelques uns, peu nombreux, l'abordèrent en force et se retrouvèrent à pied un peu plus haut ; d'autres choisirent délibérément d'effectuer une petite marche censée détendre les mollets et repousser la venue des crampes. La plupart grimpèrent en cyclos chevronnés, à l'économie, en observant le paysage. Il faut bien avouer que la grimpette est assez agréable, pas trop longue, ombragée ; elle offre de superbes trouées sur la vallée du Rhône et le lac du Bourget au loin. Le col, comme dans le Ventoux trois semaines auparavant, était venté et frisquet ; sa particularité, c'est que l'on pouvait apercevoir à l'horizon le sommet enneigé du Mont Blanc qui perçait la mer de nuages, ce qui constitue toujours un spectacle exceptionnel et gratuit qui vient récompenser de ses efforts le cyclo persévérant.

La descente vers Songieu où nous attendait le repas de midi permettait aux plus rapides de dépasser les 70 km/h tout en restant attentifs car la route étroite ne permet pas le moindre écart. De toute façon, c'est comme ça, ou il faut changer ses patins de freins après chaque sortie en montagne ; et puis, une belle descente est aussi une récompense, quitte à s'arrêter quelques instants pour jeter un coup d'œil au paysage, car, il ne faut surtout pas faire les deux à la fois, contrairement à la montée où cela est plutôt conseillé.

Le repas fut pris dans une pagaille bon enfant qui n'enlevait rien à la convivialité du lieu ni à la diligence des organisateurs. Il restait quelques 70 km à boucler et trois cols à passer, même si celui de la Cheminée, situé à quelques encablures de l'arrivée, ne nécessitait pas une échelle de ramoneur pour en venir à bout. En revanche, ceux de Richemont et de Cuvery étaient un peu plus exigeants, sans toutefois qu'il soit forcément nécessaire de mettre tout à gauche. L'ultime ravitaillement au sommet du col de Cuvery prit des allures de kermesse dès lors que chacun savait que, quoi qu'il arriva, la réussite était désormais au bout du chemin. Quelques uns, insatiables, dont les deux Bernard, se payèrent le luxe de compléter leur collection en allant chercher le col de Bérentin tout proche, ajoutant sans rechigner quelques dizaines de mètres de dénivelée à une randonnée qui en comptait déjà plus de 4000 !

La trentaine de bornes de faux plat conduisant a Hauteville fut une formalité effectuée, comme cela est souvent le cas, à un train qui n'avait rien de sénatorial compte tenu que, dans cette situation, il est bien difficile de refréner un cheval qui renifle l'écurie. A cela s'ajoute le plaisir de se sentir en pleine forme et la joie d'avoir réussi une épreuve au demeurant exigeante, justifiant les longs et parfois fastidieux mois de préparation hivernale. Nos quatre sociétaires du CTA en terminèrent donc aux alentours de 16h30, dans un état de fraîcheur qui surprend toujours l'amateur de belote de comptoir ; il faut bien avouer qu'à l'inverse, même s'ils ne rechignent pas devant un bon verre de rouge, nos quatre compères ne valent pas tripette à la belote de comptoir !

Bernard FAURE N°3874

de BOUEX (Charentes)


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