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Le Trièves, un pays ignoré

Revue N° 28 Page 26

Le Trièves, vaste cuvette façonnée par la nature et les hommes, parsemée de 30 villages et de multiples hameaux, est parcouru par de nombreuses petites routes, chemins campagnards et sentiers muletiers. Les falaises abruptes du Vercors, précédées de leur célèbre avant-garde, le Mont Aiguille, le limitent à l'ouest, les reliefs du Dévoluy marqués par les sommets du Bonnet de Calvin, de l'Obiou et du Grand Ferrand au Sud-Est alors qu'au Nord-Est le Drac et ses lacs artificiels le séparent de la Matheysine et du Beaumont. Peu peuplé, 7000 habitants (17 000 en 1850), il a perdu cette prospérité encore visible dans l'arrangement des places et l'architecture originale des maisons des principaux bourgs : Monestier, Clelles, Mens et Lalley qui tous méritent une visite.

La route nationale 75, reliant Grenoble au col de la Croix Haute par le col du Fau, a repris le parcours de l'ancienne route, classée route royale en 1828, à un certain nombre de sinuosités près ; artère routière centrale de ce pays, très fréquentée, sans intérêt pour nous cyclos. Par contre, plus original, le Trièves est un des rares pays montagnards traversé par une ligne de chemin de fer ne restant pas en fond de vallée. Terminée en 1878, celle-ci franchit à 1160 m d'altitude, grâce à de nombreux ouvrages d'art, le col de la Croix-Haute et permet d'accéder aux points intéressants du Trièves en évitant la forte circulation automobile, que l'on vienne du nord ou du sud, grâce à quatre circulations journalières dans chaque sens, toutes ouvertes au transport gratuit des vélos en bagages accompagnés. En 1885 fut construite la route sinueuse Clelles-Chichilianne-Menée par les cols de Prayer et de Menée, éminemment cyclotouristique.

Un milieu original marqué par l'empreinte des glaciers quaternaires.Le Trièves, vaste dépression située dans les Alpes externes, drainée par le Drac sur sa bordure nord et son affluent l'Ebron qui la traverse dans le sens méridien, est formé de marnes et de calcaires marneux déposés au fond de la mer qui occupait la région il y a 140 millions d'années au Jurassique, plissé au cours du soulèvement des Alpes, il y a 25 millions d'années. Pendant les récentes glaciations : au Riss (130 à 200 000 ans), localement au Würm, 400 m de glace, puis un lac, recouvrent le Trièves. Dès le retrait du glacier, il y a 35 000 ans, vidange du lac, enfoncement du réseau hydrographique, dépôts morainiques, éboulements dus à l'érosion, donnent au Trièves son aspect actuel. Les influences climatiques variées, océanique par l'ouest et méditerranéenne par le col de la Croix-Haute, les différentes altitudes et orientations procurent une végétation variée. Enfin, l'arrivée (tardive) de l'homme est attestée il y a 8500 ans au mésolithique, puis faiblement au Néolithique ainsi qu'à l'âge du Bronze puis du Fer.

La période gallo-romaine n'est pas représentée par une densité de sites très importante, ni par des trouvailles remarquables (mais ceci est très lié à la densité des fouilles). On peut cependant noter une trouvaille notable et un site original. Le trésor de Pellafol, un lot de 160 monnaies constantiniennes, découvert en 1922 ; son intérêt tient au fait que plusieurs de ses pièces ne sont connues qu'à très peu d'exemplaires, l'ensemble est d'une grande variété typologique et très concentré dans le temps (320-335). Les carrières romaines de la Cléry (ou Query) se trouvent situées à la limite des départements de l'Isère et de la Drôme, à l'altitude de 1800 m, elles s'étendent sur plus de 600 m, au pied de ressauts rocheux dominés par la Tête de la Graille, résurgence principale de la faille qui forme cette haute vallée.

A un peuplement assez diffus au haut Moyen Âge (habitat et nécropole à Roissard) succède une occupation du sol dense dès le XI ème siècle : 4168 feux recensés lors de l'enquête pontificale de 1339 ; 17 châteaux, dont il ne reste pratiquement rien ; au moins 20 maisons fortes d'après les sources écrites, une dizaine peuvent être localisées, encore moins ont laissé des traces lisibles dans le paysage ; 39 paroisses, soit 10 de plus qu'on ne compte aujourd'hui de communes. Parmi toutes les églises et chapelles qui ont existé au Moyen Âge et en dépit des ravages qu'a connus le Trièves aux temps des guerres de religion et des longs abandons qui souvent les ont suivis, une quinzaine de ces églises apparaissent conservées, entièrement ou en partie, dans leur état médiéval, formant un ensemble d'une singulière homogénéité architecturale et stylistique.

Que voir dans le Trièves ?
Bien évidemment les merveilles naturelles : paysages, sites remarquables, flore exceptionnelle, etc, qu'il n'est évidemment pas possible de décrire dans un court article tel que celui-ci. Vous trouverez dans des guides tels que le récent IGN (1) (très recommandable) de nombreuses descriptions de sites, de curiosités ou de balades ou le Didier-Richard (2) (ancien) pour les balades à pied et, bien sûr, les TOPO (3) pour les amateurs de cyclomuletades.

Profitez aussi de votre séjour dans le Trièves pour visiter ses bourgs et ses hameaux tels Prébois (ancien travail à ferrer les bœufs), Vilette, Saint-Sébastien, Bongarat et Serre-Berthon, Saint-Baudille et Pipet, le château de Montmeilleur, les Bounets et Saint-Beauvais, tous situés autour de Mens, capitale du Trièves, dont vous apprécierez les vieilles ruelles, les maisons typiques avec leurs couvertures de tuiles écailles, leurs génoises à deux ou trois rangs, leurs vastes "engrangeous" ; les halles, le temple et l'église rappelant une longue histoire qui vit tour à tour catholiques et protestants dominer. Mens, siège d'une des premières écoles protestantes, reste un foyer actif du protestantisme français (musée) ; expositions intéressantes à la mairie ou au musée où l'on s'efforce de garder les grands souvenirs régionaux au premier rang desquels se trouve Edith Berger, peintre de la vie agricole et de la nature triévoise et surtout Jean Giono qui séjourna à Tréminis et à Lalley évoquant ses paysages dans de nombreux romans : "J'étais enfin dans ce cloître de montagne ... avec ses quatre montagnes où s'appuie le ciel, cette haute plaine du TRIEVES cahotante, effondrée, retroussée en boule de terre, toute écumante d'orge, d'avoine, d'éboulis, de sapinière, de saulaie, de villages, d'or de glaisières et de vergers : son tour d'horizon où les vents sonnent sur les parois glacées des hauts massifs solitaires ...".
Enfin, ouvert au public à l'été 94, le Centre Écologique Européen vous passionnera peut-être, c'est un projet original, unique en France. Il présente un ensemble de jardins biologiques, des démonstrations de techniques non polluantes en jardinage, l'utilisation des énergies renouvelables, des bâtiments bioclimatiques en terre crue, l'épuration des eaux usées par des roseaux, une exposition permanente sur les énergies douces, les matériaux pour un habitat sain, des démonstrations pour réhabiliter une friche, des séminaires, un centre de documentation, une cafétéria bio. Tout ceci sur le domaine de Raud à quelques kilomètres de Mens, organisé par Terre vivante, organisme soutenu par Yehudi Menuhin et Edgard Pisani entre autres.

Périodes conseillées
Le Trièves est par excellence le pays des 4 saisons, chacune mérite d'être testée : le printemps pour la richesse et la variété incroyable des fleurs ; l'été pour son ciel méditerranéen avec une température modérée par l'altitude ; l'automne pour sa symphonie des couleurs ; l'hiver pour le ski de fond.

Avenir du Trièves
Voilà ce qu'écrit le directeur du C.A.U.E. (Conseil Architecture Urbanisme Environnement) de l'Isère : "Le Trièves est une entité géographique parfaite qui jouit d'un patrimoine naturel paysager exceptionnel, présentant un équilibre harmonieux entre petit, moyen et grand paysage, ceint d'un cirque montagneux aux noms prestigieux ... Paysage d'une apparente unité, derrière lequel se niche une très grande variété et richesse de situations topographique, géologique et végétale ... " Au sujet des bâtisses du Trièves : "Leur architecture très dépouillée offre une grande rigueur, voire une certaine austérité de forme. Leurs volumes simples, massifs, rythment et renforcent l'harmonie de ce paysage ... Les toitures ..., offrent d'extraordinaires variations de couleurs brunes ... ".

L'or blanc devenu aléatoire, l'agro-tourisme demeure un atout du Trièves, mais repose sur la valeur intrinsèque de son paysage et de sa douceur de vivre. Jusqu'à quand ? Si les équilibres se sont assez bien maintenus entre activités économiques et respect de l'environnement, des questions restent entières quant à l'avenir. Des menaces pèsent sur la préservation de ce patrimoine paysager. L'évolution des techniques agricoles conduit à d'importants bâtiments rompant une harmonie lentement construite, tandis que des bâtiments traditionnels désaffectés ne trouvent pas de nouvelles destinations.

La réalisation de l'autoroute A51 vient d'être remise en cause, mais s'agit-il d'un simple délai de réflexion ou d'un changement d'orientation plus profond ? S'orientera-t-on vers un traitement plus doux, mise à quatre voies totale ou partielle des N75 et 85, plus économes du paysage et des budgets ? On peut espérer que la vision des travaux pharaoniques déjà réalisés autour de Vif éclairera sur le véritable impact de ce genre de travaux dans ce type de paysage. A nouveau : "On se heurte fréquemment à la difficulté de faire vivre un héritage, une richesse dans un environnement socio-économique totalement en rupture avec les conditions qui ont présidé à sa création. Concilier l'inconciliable relève souvent du périlleux. Il s'agit là d'être novateur, imaginatif, ouvert, ... empreint du passé mais résolument tourné vers l'avenir". Ce langage sera-t-il entendu ? On pourrait rêver, comme en Suisse, d'une utilisation plus intensive de la voie ferrée, rénovée, électrifiée ; elle permettrait le ferroutage, une desserte de voyageurs cadencée, mais nous sommes en France...
Cette présentation n'a pu vous donner qu'une faible idée de l'intérêt et du charme du Trièves particulièrement pour des cyclos ou des amateurs de cyclo-muletiers.

N'hésitez pas à venir dans cette région, vous ne le regretterez pas !

(1) Les guides IGN Vercors-Diois-Buech-Vallée de la Drôme-Trièves-Dévoluy page 128 à 147
(2) Guide Didier & Richard massif du Vercors Randonnées pédestres et à ski page 75 à 106
(3) TOPO n° 1-2-3-4 par René Poty et Michel de Brébisson, disponibles chez les auteurs

Michel de BREBISSON, N°1315

de MEYLAN (Isère)


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