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Ventoux (bis)

Revue N° 28 Page 28

Depuis trois ans, j'avais rejoint la communauté de ceux qui étaient montés au Ventoux à vélo. Autant dire que moi, le natif du Vaucluse, j'avais conquis depuis ce jour-là une deuxième nationalité. Même si ce n'était plus une obsession, je savais qu'il me faudrait monter un jour par Bédoin.
Plus une obsession, mais un léger goût d'inachevé.

Et puis, les puristes :
- Tu es monté au Ventoux ?
- Oui.
- Et par où ?
- Par Malaucène.
- Ce n'est pas mal....
- ....
- Mais, par Malaucène, il y a des replats, on peut souffler.

Puis, la petite musique intérieure, celle qui regrette de ne pas s'être arrêté là où est mort Tom lors de l'étape du tour 67. De ne pas être monté de ce côté-là. Car, il faut bien le reconnaître, la montée par Malaucène suffirait à faire du Ventoux une légende, mais il y a Bédoin, avec 8 km brutaux, ininterrompus, au cours desquels on s'élève de 760 m sans le moindre bout de route pour reprendre son souffle ; et l'arrivée à peine moins dure, 6 km de caillasse sous le soleil.

Je savais qu'il me fallait monter un jour par Bédoin ; pour la paix intérieure, et boucler la boucle. Je franchirai à la montée, le col des Tempêtes, et sur la stèle à Tom, je déposerai un bidon comme beaucoup d'autres l'ont fait ou, comme ailleurs, des fleurs. En août, j'avais l'entraînement conseillé (3000 km depuis Noël) et une journée libre, clin d'œil miraculeux de l'emploi du temps, à passer entre Ardèche et Côte d'azur. Et me voici dans le petit matin, trop engagé pour reculer, un bon trac aux tripes, à prendre tout mon temps pour les ultimes préparatifs, sur la place de Bédoin.

Il faut y aller ! Je suis plus serein que la première fois, et je sais que si je trouve le bon rythme, ça se passera bien. L'objectif n'est plus d'arriver en bon état et d'une seule traite. Echauffement tranquille jusqu'à St-Estève : cette petite côte qui paraîtrait ailleurs respectable, passe ici pour un faux plat. Puis, dès l'épingle à cheveux où la pente est là, violente et attendue, je lui témoigne mon respect en passant sur le troisième plateau. Je progresse à l'ombre, au frais. La température devrait se maintenir puisque je prendrai de l'altitude tandis que le soleil montera. Peu d'incidents de parcours parmi les douze virages à peine marqués ; il n'y a qu'à pousser, pousser sur les pédales, pousser encore, en cadence avec ma respiration. Une grosse heure, oubli total, avancée régulière et le temps qui passe est du chemin de gagné. Un panneau annonce bientôt le Chalet Reynard. Je traduis : la pente s'assouplit à 7 % sur 3 km. Ce qui un autre jour, me semblerait une difficulté est une promesse de répit, l'apprêt d'un second souffle et la rampe de lancement pour la finale.
Trois dents de mieux ; toujours en souplesse mais, en gardant la cadence. Deuxième épingle à cheveux devant le chalet, large : je choisis ma pente ; quel luxe ! Voici le désert de pierre et un très léger Mistral, la tour de télévision au sommet en vue, si proche et se dérobant à chaque nouveau virage. Pousser, pousser encore. Enfin, dernier lacet, comité d'accueil, applaudissements chaleureux et inattendus : c'est la randonnée Vésuve Ventoux, et des Italiens jumelés avec Sault qui arrivent aussi. Je suis parti depuis 2 heures et 22 minutes, et il fait bon. J'embrasse du regard le Comtat et les Baronnies. Je suis heureux et redescends en touriste et pèlerin : table d'orientation et photos de la stèle. Sous le magnifique soleil dominical, il y a foule qui continue de monter, un cyclo croisé tous les cent mètres, chemin du retour jubilatoire.

Bédoin, la boucle est bouclée et j'anticipe les dialogues futurs :
- Tu es monté au Ventoux ?
- Oui.
- Et par où ?
- Des deux côtés.

Et pourtant !
J'étais certes mieux entraîné, parti plus tôt, mais ça ne suffit pas à expliquer que j'ai trouvé cette deuxième ascension moins difficile. Les replats, les pauses pour souffler, je n'aime pas : dénivelés et distances donnés ; c'est le prélude à des pourcentages plus élevés, des rythmes moins réguliers. Je suis heureux d'être monté par Bédoin.
Mais par Malaucène ce fut plus difficile.

Bernard LANGLADE N°4311

de CAGNES SUR MER (Alpes Maritimes)


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