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Pédaler dans la schluchtcroute

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Gaspard fixait d'un air dépité son vélo bêtement à plat, appuyé contre le poteau, trois kilomètres en dessous du col de la Schlucht. Il était 13h et cela faisait 2h 30 qu'il attendait depuis qu'il avait fait prévenir son épouse. De Mittlach, où ils gîtaient, il fallait à peine trente minutes pour rejoindre par Munster, le sommet du col. Certes, il y avait le problème de la choucroute, mais pas de quoi justifier une aussi longue attente. Quelque chose clochait !

Gaspard décida alors de faire le point. Départ du gîte à 9h et le coucou à Lucie qui le regardait s'éloigner ; elle savait qu'il allait jusqu'à la Schlucht et qu'il serait de retour de bonne heure, à cause de la choucroute. Cinq kilomètres tranquilles pour atteindre Metzeral au pied de la sévère montée du Platzerwasel qui conduit à la route des Crêtes. Arrêt à la boucherie du pays pour commander la choucroute garantie locale authentique. Ah, il aurait fallu un récipient ! Tant pis, il écourterait sa sortie ; au sommet de la Schlucht, il ferait demi-tour et repasserait au gîte pour prendre l'indispensable ustensile.

Une route plate le conduisit à Munster, puis il prit à gauche pour gagner Soultzeren et le pied de la Schlucht. Escalade plutôt légère de 13 km que son fils de dix ans a déjà réussi sans mettre pied à terre. La sortie étant écourtée, il s'offrit une montée allègre et le sommet apparut à 10h 15, heure où les premiers touristes en provenance de Gérardmer, du Bonhomme et du Markstein affluent. Aussitôt, il décrivait un large demi-tour et s'engouffrait dans la descente, quand son élan était brisé net par une banale crevaison, 300m plus bas. C'est le lot de tous les cyclos ! Changement de chambre à air - tiens, il n'en avait qu'une - et alertes coups de pompe qui eurent tôt fait de l'alerter... que le pneu se fendait le long de la jante, laissant apparaître la chambre à air qui sortait rapidement de son lit. Devant ce constat " déchirant ", Gaspard entreprenait de changer de pneu ; seulement voilà, devenu soudain fébrile, il pinçait sa chambre à air : ah ! le sot ! ( l'écho lui renvoya aussitôt un autre son ). Et pas de seconde chambre à air et pas la moindre rustine ; pas de quoi être fier non plus ! Penaud, Gaspard regagnait pédestrement, le col pour téléphoner à son gîte. Comme correspondant, il ne trouvait que le fils du logeur auquel il expliqua qu'il était en panne au col de la Schlucht, s'il pouvait demander à Lucie de venir le chercher et de s'arrêter, en passant, à la boucherie de Metzeral, pour porter le récipient et prendre la choucroute. Il était alors 10h 30 et Gaspard refaisait le bout de chemin à pied, repérait un endroit dégagé pour permettre à la voiture de faire aisément demi-tour et attendait et attendait... Lucie ne cachait plus son inquiétude. Il avait été question d'un retour à midi au plus tard. Il était maintenant 13h et l'orage qui s'en mêlait aussi. Les enfants salivaient devant la choucroute qui elle, était bien là. En effet, le fils du logeur avait dès 10h 30, fait part du coup de fil, mais, de son accent alsacien tellement chantant, Lucie n'avait pu extraire que quelques mots : " Schlucht ", peut-être " choucroute " et sûrement " plat " ; alors, dans la foulée, elle avait foncé jusqu'à la boucherie de Metzeral et ramené la choucroute. La choucroute attendrait, car, Lucie décidait d'entamer les recherches sous la pluie battante. Elle savait que Gaspard préférait les circuits aux aller-retour, alors, il avait dû descendre par le Platzerwasel. Vaines recherches et retour à la case départ. Il était 13h 30 et les enfants s'attablèrent ; pas Lucie.

Voyant lui aussi monter l'orage, Gaspard avait repris son vélo et poursuivait à pied la descente. Après tout Soultzeren n'était qu'à dix kilomètres ! Mais une forte ondée l'obligea à chercher refuge à l'orée du bois.
Ne tenant plus en place, Lucie reprit la voiture, et depuis une cabine appela la Gendarmerie de Munster qui la renvoya au col de la Schlucht qui la renvoya à la Gendarmerie de Gérardmer : aucun accident n'avait été signalé. Et nouveau retour au gîte ; la pluie avait cessé, pas l'angoisse de Lucie.

Un quart d'heure avait suffi pour tremper Gaspard et pas question de rester là à grelotter. Il repartait, courant à côté de son vélo pour se réchauffer et était de plus en plus inquiet pour Lucie. Six kilomètres plus bas, la pluie arrêtait ; pas lui. C'est à 14h 30 qu'il atteignait Soultzeren et point de vélociste avant Munster à 4 km de là.

Il était 15h passées et Lucie tournait en rond ; pourquoi Gaspard ne donnait-il pas signe de vie ? En plus, voilà qu'elle tombe sur sa carte d'identité : il l'avait oubliée ! Et en cas d'accident, comment saurait-on que c'est lui ?

Première chance pour Gaspard : un artisan qu'il avait connu au BCMF de Colmar, le prend dans son estafette, le conduit à Munster et lui embaume le cœur en lui expliquant que, Colmar est la ville de France où il pleut le moins. Cependant, Gaspard garde un œil constamment rivé sur les voitures qu'ils croisent et cinq minutes plus tard, chez le vélociste, tout en réparant sa roue, il guette sans discontinuer la route. Finalement à 15h 10 le voilà enfin remis en selle. Mais que fait Lucie ?

"Votre mari ? Comment, vous n'êtes pas allée le chercher, il vous attendait au col de la Schlucht !!! Mon fils ne vous a pas prévenue ?" La loueuse est catastrophée par le malentendu. Lucie s'en moque, elle est soulagée, car elle sait : nouvel embarquement immédiat des enfants et en route en direction du col.

Gaspard arrive à Metzeral à 15h 25 et veut en avoir le cœur net : il entre dans la boucherie où il apprend qu'une dame est venue prendre la choucroute. Le mystère s'épaissit : le message a donc bien été transmis, mais alors, que fait Lucie ?

Lucie n'est plus qu'à 500m de Metzeral et il est tout de même 15h 30. Dans quel état va-t-elle le trouver là-haut ? Il aurait dû rappeler ! Mais, juste avant le bourg... Le voilà ! crient en cœur les enfants.

Gaspard frissonne à l'idée que deux minutes plus tôt, lorsqu'il était à la boucherie, ils auraient pu se manquer !
L'estomac creux, Lucie et Gaspard, las d'émotions successives et malgré l'heure tardive, dégustent leur choucroute. Ils n'en ont jamais mangé d'aussi savoureuse !

Tirant les enseignements de leur mésaventure, ils décident sur-le-champ de prendre quelques leçons d'alsacien, car, aujourd'hui, ils ont vraiment, mais vraiment pédalé dans la schluchtcroute.

Yannick HINOT N°3759

de MAZÉ (Maine-et-Loire)


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