La cinquantaine approchait, et se profilait l'idée de faire quelque chose d'un peu exceptionnel pour marquer l'événement. J'eus le déclic en lisant la revue des "100 cols": le Kardung-la, le toit du monde. C'est ça que je vais faire ! D'abord j'en parlais à Daniel, grand complice quand il s'agit d'aller grimper des cols. Et j'ai compris que si j'avais lancé le projet la première, il en avait eu l'idée bien avant moi, accumulant les renseignements et récits de voyage pour plus tard, après les montagnes Rocheuses, le Colorado... etc Ensuite il fallait en parler à la maison. Pour Michel cela ne pose pas de problèmes. Nous avons des goûts différents (ce qui laisse parfois des regrets) mais nous respectons les désirs de l'autre. Parfois j'avais un peu honte de le laisser si longtemps pour un voyage lointain. Alors je me donnai bonne conscience en me félicitant de l'avoir poussé à faire le marathon de New York il y a quelques années. Et en juin, je l'aidai à réaliser un rêve : la transvolcanique en course à pied. L'épreuve ayant été annulée, je lui proposai de la faire en individuel. J'assurai l'intendance et le ravitaillement, ce qui lui permit de rallier Volvic à Super-Lioran en 3 jours. Pas de problème non plus du côté des filles : Angeline a 17 ans et, maman partie : "Ca fait des vacances". Marie trouvait normal mon envie de voyage, mais aurait préféré que je parte dans un pays plus civilisé : "Pourquoi tu ne vas pas en Norvège ? C'est joli et il y a des cols." Après beaucoup de recherches de renseignements, de préparatifs, des moments d'euphorie et de stress, le départ arrive : Roissy-Delhi-Lem, où je dois rester deux jours à l'hôtel en attendant que passe le mal d'altitude pendant que Daniel visite les monastères environnants. Ensuite un itinéraire de 5 jours sur la route de Srinagar pour visiter les monastères d'Alchi et Lamayru et faire le Fotu à 4067 m. Tout cela permet à nos organismes de s'habituer à l'altitude. De retour à Lem, l'hôtelier nous obtient sans problème les autorisations pour aller au Kardung. Il faut être quatre pour faire la demande, mais il a sous le coude les photocopies de passeport de deux Néo-Zélandais. Sans sa complicité, nous pourrions obtenir celle des agences de voyage. Enfin le 12 septembre 99, le grand jour. Le Kardung-la qui nous a tous fait rêver, et sur lequel planait le doute de l'autorisation, c'est aujourd'hui que nous allons le gravir. Départ à l'aube, nous emportons les petites sacoches arrières pour transporter suffisamment de vêtements chauds, de nourriture et 6 litres d'eau minérale pour nous deux. Nous n'avons que 40 kilomètres de montée pour 2100 mètres de dénivellation, mais aucune possibilité de ravitaillement sur une fin de route non goudronnée. En partant du Ladakh, la pente n'est pas très raide, la difficulté vient de l'altitude et non de la dénivellation. Malgré un temps couvert, les dix premiers kilomètres sont très agréables. La température est fraîche, nous remontons un torrent, le paysage est encore vert avec des cultures en espaliers, des maisons dans le creux de la vallée. Puis l'univers devient très minéral. La température se rafraîchit. Le coup de pédale est lent mais encore facile. Nous sommes au cœur d'un univers géant, envahis par une impression d'immensité. Il nous faut nous arrêter de temps en temps pour souffler et boire. Nous en profitons à chaque fois pour nous imprégner de ces panoramas grandioses, d'une envoûtante beauté. |
Au camp militaire, il nous faut montrer notre autorisation. Le fait que nous soyons deux et qu'il y ait quatre noms sur le papier ne pose pas de problèmes. Encore quelques kilomètres de route assez faciles, puis le goudron se dégrade, et rapidement, plus d'asphalte mais de gros cailloux, impossible de rouler, il nous faut pousser. Des ouvriers sont en train de construire la route dans des conditions épouvantables. Par dizaines, ils cassent des cailloux au marteau et les étalent à la main au milieu du chemin. D'autres chauffent du goudron dans des bidons et le répandent sur les cailloux. Et nous poussons nos vélos sur le goudron pas encore sec. Ca colle aux chaussures, ça colle aux pneus, parfois les roues ne veulent plus tourner. C'est la galère. Puis l'état de la route s'améliore un peu, mais pas notre état général. Nous ne sommes pas malades, seulement fatigués et nous nous essoufflons rapidement. A force d'avancer doucement, le Kardung-la finit par nous accueillir. Accueil un peu froid, le vent est glacial, nous nous hâtons pour nous couvrir. Nous faisons quelques photos devant la borne sur laquelle nous lisons avec fierté : "Le chemin praticable le plus haut du monde - altitude 18380 pieds". Nous sommes heureux, mais n'avons pas le temps de déguster notre joie car il faut assurer le retour. Deux camions se préparent à partir, sans perdre de temps, nous leur demandons s'ils peuvent nous descendre avec nos bicyclettes. C'est avec joie qu'ils acceptent de nous rendre service. Nous arrivons à Lem juste avant la nuit. Bien sûr, nous sommes un peu déçus de n'avoir pas eu le temps de poser longuement au sommet, déçus de ne pas être redescendus en vélo. Mais tellement contents d'avoir franchi ce col qui nous a tant fait rêver et qui nous fera encore rêver longtemps. "World highest motorable road" et pour positiver, ce retour en camion nous a permis d'apprécier l'accueil, la spontanéité et le sourire des gens du pays. Dès le lendemain nous quittons Lem pour Manali. Une autre partie importante du voyage puisqu'elle consiste à traverser les plateaux désertiques du Ladakh entre 4 et 5000 mètres d'altitude avec 5 cols sur le parcours. Cette expédition-là aussi, elle nous tient à coeur car nous allons affronter cette inconnue qui nous attire, l'aventure, l'autonomie totale pendant 2 jours (sur les 9 du voyage), le manque de confort, le froid, l'imprévu... Mais aussi le bonheur, la liberté, l'immensité d'un paysage minéral d'une grande beauté. Un parcours en communication perpétuelle avec la nature, les espaces démesurés, le silence interrompu de temps en temps par les camions... Le voyage fut génial. L'aventure est passée mais elle n'en finit pas de me faire rêver. Les paysages viennent ensoleiller l'hiver toujours un peu triste. Maryvonne DRIARD-TERRIER N°159 de FLEURY LES AUBRAIS (Loiret) |