Faut-il considérer globalement la pratique cyclo-montagnarde comme un seul et unique loisir? N'est-ce pas aussi un peu de philosophie? Essayez de grimper en arrêtant de pédaler et tout d'un coup, sans crier gare, vous finissez par tomber. Ce n'est pas rien, car vous êtes ici en présence d'un symbole capital : l'équilibre lié au mouvement... Et le môme, s'essayant à garder l'équilibre en effectuant ses premiers tours de roue, d'interroger... ... Dis-moi, Papy ! Et appartenir aux "Cent Cols" ! Est-ce bien aussi un tout autre loisir ? - Philosophiquement : oui, à coup sûr ! Le " Centcoliste", tel le funambule sur son fil, déplace obliquement et de façon de plus en plus précaire au fur et à mesure qu'il s'élève, un centre de gravité. Le randonneur marcheur, s'il s'arrête, son équilibre n'en est pas compromis, le "Centcoliste" lui, devient boiteux, une sorte de canard sur trois pattes : deux roues et un pied rivés à la pente. En revanche, il peut se délecter des délices des descentes à roue libre, ce que ne peut s'offrir le marcheur. Si l'on considère les efforts à fournir pour grimper (et Dieu sait s'il y en a !), les effets restent identiques, car n'oublions pas que le mouvement est le fruit de l'effort : pas vrai ? Or, sans effort, vous redevenez immobile et du coup, ce même canard sur trois pattes : deux roues et un pied figés au sol. ... Dis-moi, Papy ! Et appartenir aux ''Cent Cols'' ! Est-ce bien tout de même un tout autre loisir ? - Sociologiquement : oui, tout à fait ! Ecole d'abnégation et de volonté, le " Centcolisme " est une belle leçon où se conjuguent morale et santé et qui se combine harmonieusement avec tous les épicurismes cyclistes, à savoir : plaisir de l'œil embrasé par les couleurs et les lumières des reliefs traversés à allure réduite, réception des senteurs des matins pâles, perceptions des murmures de la nature, griseries des descentes... Vu sous un angle plus psychanalytique, c'est peut-être d'abord la continuité de l'enfance. Souvenons-nous, l'enfant (mâle) a généralement deux jouets cultes : le ballon et la bicyclette. Alors, la pratique du " Centcolisme ", n'est-ce pas retourner en enfance ou ne pas en sortir tout à fait ? Ne trouve-t-on pas chez nous des enfantillages dans nos manières et nos rites ? Fierté de sa machine à braquets multiples (jouet). Combinaisons et variétés des modalités de notre pratique (jeux). A cela, ajoutons-y un zeste de sociologie, car n'oublions pas que sur un vélo, tout le monde est logé à la même enseigne, fortuné ou fauché : pour grimper : faut appuyer les gars, et fort ! Un processus contraignant et égalitaire guère prisé par les embourgeoisés. Avec de l'argent, on peut s'élever de plus en plus vite en voiture, pas à vélo. Même avec du matériel ultra sophistiqué et onéreux, on ne réduit que très passablement l'effort à fournir. ... Dis-moi, Papy ! Et appartenir aux "Cent Cols" ! Est-ce bien encore un tout autre loisir ? - Linguistiquement : oui, volontiers ! Qui possède ces codes dont les signifiants constituent un indice d'appartenance au milieu et où l'apprentissage des termes fait partie de l'intégration. |
Un " Sanscoliste " ne différencie pas la côte, la bosse, le faux plat, le coup de cul, la montée, le raidillon, la pente, le mont, le col, le pas, la baisse, le goulet... et j'en passe (vous le savez bien) ; terrains sur lesquels nous nous escrimons le plus souvent en " danseuse ", ce dont vous n'avez pas l'exclusivité, mesdames ; je le regrette et m'en excuse. Dans de nombreux cas, le champ lexical est particulièrement bien corsé lorsqu'il ne devient pas carrément hilarant. Nous, les " Centcolistes ", pouvons affirmer avoir la pédale légère et rouler la fleur au guidon, que nous mettons toujours les grandes soucoupes à l'arrière et les petits plateaux à l'avant (pas les petits plats dans les grands), que nous sommes (majoritairement, je crois) des partisans du tout à gauche et, ô paradoxe, dans le même temps, que nous ne faisons que rarement rosir ni jamais rougir le treize dents, tout juste nous arrive-t-il de temps à autre et pour notre seul plaisir, de mettre une dent en moins (y comprenne qui pourra !)... Arrêtons là, j'en perds les pédales, me méfie des retours de manivelles et crains par-dessus tout de finir à la potence. ... Dis-moi, Papy ! Et appartenir aux "Cent Cols" ! Est-ce bien toujours un tout autre loisir ? - Historiquement : oui, sans conteste ! Accompagné d'une mythologie, c'est-à-dire d'une histoire qui se transforme souvent en légende, avec ses chevaliers errants qui deviennent des héros ou des martyrs, avec ses lieux mythiques qui résonnent d'exploits ou de drames. Quel Don-Quichotte "Centcoliste" dans son subconscient n'a jamais fantasmé sur ces itinéraires de légende, sur une pente de Ventoux, dans un tunnel de Parpaillon, quelque part entre Cerbère et Hendaye, Thonon et Trieste ou sur un camino de St Jacques de Compostelle ? N'a-t-il jamais ressenti la moindre palpitation au ventricule gauche, éprouvé le moindre frisson dans le bas de l'échine, exercé la moindre vibration sur sa corde vocale sensitive ? Et les chasseurs de cols, ne poursuivent-ils pas inexorablement le feuilleton de Sisyphe et de son rocher ? Enfin, ont-ils seulement tous su qu'ils perpétuaient la grande tradition vélocipédique ? Resterait beaucoup à dire là-dessus. Pourtant, à la fin de ce pseudo-mi-peu sérieux exposé, force est de constater que la question fondamentale reste toujours posée : qu'est-ce qui nous fait pédaler, nous les "Centcolistes" aquitains ? En enfourchant notre petite reine sublimée, sans y prendre garde, ne roulons-nous pas, comme attirés par le mirage de l'image idéale qui nous conduit chaque fois un peu plus haut, jusqu'aux cîmes de nos monts de Pyrêne revêtues de bleu et de blanc ? Ne nous sentons-nous pas comme poussés par les alizés remontant des plaines de notre littoral vers quelque princesse des mille et une nuits, si belle qu'on eut dit l'astre de la nuit lui-même, dans l'éclat de sa plénitude, planté là, au beau milieu de l'échancrure du col ? Va donc savoir ! LABAYLE Norbert N°2520 de MARLY-LA-VILLE (Val d'Oise) |