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La Rhune : le défi et l'école d'humilité

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Au sommet de cette Rhune si convoitée, il était sans doute surprenant de voir arriver un cyclo. Pourtant, un employé du Petit Train, le béret bien vissé sur la tête, ne semblait pas étonné et me souriait. Son sourire s'élargit encore lorsque je lui demandai si je pouvais mettre le VTT dans un wagon. " Non, désolé" et affichant un goût certain pour le défi : " Vous êtes monté jusque là, vous arriverez bien à en redescendre !"

Deux solutions s'offraient alors : redescendre côté sud ou m'élancer pour déjà 400 mètres de dénivellation en moins de deux kilomètres sur un chemin quasi inexistant et parsemé de gros blocs de grès jusqu'aux Trois Fontaines. Le versant nord-ouest eut pourtant ma préférence.

Je repris le sac à dos plein des accessoires du VTT qui risquaient de me gêner au cours des portages et, le casque bien serré, je m'élançai pour une descente vertigineuse ponctuée par quelques bonnes gamelles, au milieu d'un paysage magnifique. L'ascension que je venais de vivre et la descente qui s'amorçait étaient à l'image de tout ce qu'allait me réserver le Pays Basque au cours de ce séjour.

Depuis la plage de Saint-Jean de Luz, la Rhune attire irrésistiblement les regards, toile de fond rêvée pour un bord de mer. Laissant la voiture à Ascain, j'avais rejoint le gîte de Mantobaîta et le GR10 au pied de cette réplique "miniature" d'un Ventoux, d'une Montagne de Lure ou d'un Colombier. Plus je m'élevais sur la sente étroite et glissante, plus l'écharpe de brume qui masquait le sommet s'épaississait. Le GR10 se rétrécit à nouveau au milieu des fougères et la pente se fit plus importante ; de petits escaliers naturels en grès rendirent encore plus délicate l'ascension. Il fallait y voir les prémices de ce qui allait m'attendre à la recherche du Col des Trois Bornes (64-521), lors des ascensions du Col de Zuhareteaco (64-566) et du Col des Joncs (64-419b), ou encore lors du franchissement du Xoldokocaîna.

Après de bons efforts, le Deskargahandiko Lepoa (64-273) s'offrait à moi dans son écrin de verdure. De retour sur le GR10 après une fausse route, le chemin disparut dans un écran de végétation de plus en plus dense. L'étroitesse du sentier de randonnée, la pente impressionnante et de gros blocs de grès m'obligèrent à poser pied à terre jusqu'au fond d'un petit vallon. Un chemin plus praticable me ramena en direction du Col d'Ibardin (64-317). Avant ce dernier, en obliquant sur la gauche, je rejoignis l'Ilzaruya Lepoa (Esp-NA-274) côté espagnol. Je devrais plutôt dire côté Provinces du Sud, car bien malin est celui qui trouvera une différence entre le côté espagnol et le côté français : de part et d'autre les paysages sont les mêmes et la langue basque, couramment utilisée sur les écriteaux m'a permis de retrouver mon chemin plus d'une fois sans parler espagnol, perdu sur des lignes de crêtes entre le Penas de Betarte, le Pic de Gorospil, le Goramakil et l'Artzamendi.
Au milieu des palombières, en consultant le compteur, je réalisai combien ces petites montagnes si douces au regard et si peu élevées étaient usantes et difficiles à franchir : une véritable école d'humilité. Je n'oublierai jamais les 21 % pour atteindre les 349 mètres du Col de Legarre. Je croyais même avoir trouvé un compagnon de route pour poursuivre en direction de l'Harlepoa (64-305) et du col de Mehatche (64-716). A peine avais-je annoncé les passages à 17 % et ceux à 19 % que l'autre cyclo préféra faire demi-tour, m'abandonnant à mes galères solitaires. Le chemin qui m'emmenait au col de Zizkouitz (64-665b) n'échappait pas à la règle. Que dire du dernier kilomètre avant le sommet de la Rhune (160-180m de dénivelée !), écrasé par la chaleur, évoluant dans un paysage grandiose, dans la caillasse. Mais que la récompense était belle : le vent achevait de dissiper les petits morceaux de brume au nord et à l'ouest, et le ciel clément autorisait un panorama à 360° sur la côte d'Argent, le Labourd, la Basse Navarre et toutes les Provinces "du sud".

S'étalait ainsi un pays aux contrastes saisissants : la mer et la montagne, la douceur des monts, des collines et la rudesse de leurs pentes, le froid des matins brumeux et la chaleur écrasante au passage de certains cols, le blanc des façades, le rouge des piments, le vert des pâtures et des forêts, ses habitants silencieux, renfermés et leur accueil si chaleureux, leur langue si particulière et leur large sourire quand vous les saluez sur un VTT au cours d'une ascension délicate, la vivacité des Pottoks en liberté qui vous ouvrent la route du Goramakil et les cadavres des Manechs dépecés jusqu'à l'os par les vautours, le silence merveilleux des lignes de crêtes espagnoles et la beauté des chants basques. J'étais bien content d'atteindre enfin le col des Trois Fontaines ; la Rhune pourtant, n'avait pas encore dit son dernier mot ! Après un cours répit offert jusqu'à une ancienne redoute, la pente s'accentua à nouveau (370m de denivelée en moins de 1700 mètres !) pour me déposer au col de Saint-Ignace (64-169), tous les muscles du corps tétanisés par cette descente kamikaze. Deux mots attirèrent mon regard sur un petit écriteau : "Ongi Etorri" (Bienvenue !). La montagne sous-estimée m'avait rappelé à l'ordre pour le reste de mon séjour !

Eric LASTENET N°3191

de LOUHANS (Saône-et-Loire)


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