Les Coches (charmante station de ski savoyarde), il est 7 heures, je pars !... Temps superbe : direction Bourg-Saint-Maurice, en bas dans la vallée. Dix kilomètres de bonne descente pour débuter : le pied, quoi ! Traversée sans problème de la ville qui se réveille. Cormet de ... "20 km" m'indique un panneau au sortir de l'agglomération, et aussitôt, la nature généreuse : senteurs d'alpages, chants des ruisselets, sous-bois nimbés de brouillard, premières sensations d'une journée qui s'annonce belle et ensoleillée. Ma route serpente gentiment, s'étire, se love, s'insinue dans la petite vallée des Chapieux, puis, passé Bonneval, une série de courts et secs lacets me fait prendre de l'altitude en peu de temps. Je longe à présent " le Torrent des Glaciers " qui roule ses eaux laiteuses générées par les glaciers du majestueux Mont-Blanc, là, à une portée d'arbalète. Coup de sifflet strident, arrêt aussi sec et là, dans la pierraille, assise sur son séant, Dame Marmotte telle un chevalier cathare, nez dans le vent, l'œil aux aguets, l'oreille tendue, me fait un brin de causette. Quel plaisir et quel régal des yeux et des oreilles pour moi, le Pyrénéen. Je me prends à lui répondre en sifflant ; cela l'interpelle et elle disparaît. Je poursuis ma route avec l'espoir d'une autre rencontre. Montée régulière bien que parfois à deux chevrons sur la carte Michelin. Je double de nombreux groupes de marcheurs chargés pas possible, cela me rappelle le chemin de Saint-Jacques de Compostelle pédalé l'année dernière. Cormet de Roselend 1968 mètres, (que n'eût-il été plus haut de 32 petits mètres et cela m'aurait fait un 2000 de plus) hélas ! Mais que c'est beau la montagne, le ciel est limpide, les pics des Alpes enneigés, là, à toucher de la main. Il fait un peu frisquet malgré un beau soleil, vite le coupe-vent et me voici dans les lacets descendant vers le barrage et le lac de Roselend. Inconsciemment, je suis passé de la Tarentaise au Beaufortain, juste un regard au majestueux " Rocher du Vent " (2360 m) fiché là au cœur de la Savoie, et me voici, la pédale facile, dans le court mais sec col du Pré (1703 m). Pique-nique (avec mon épouse et un couple d'amis qui m'ont rejoint en voiture) à flanc de talus au beau milieu des campanules et autres gentianes, avec pour toile de fond le charmant petit village de Boudin (site classé). J'avais prévu de "boucler la boucle" de mon circuit en rentrant par le Cormet d'Arêches et de franchir "rapidos" ses 2108 m. Près de nous pique-niquaient également deux marcheurs (cyclos à l'occasion) qui, s'étant informés de ma décision et me voyant à vélo (de course, avec des pneus de 19), essayèrent bien gentiment de me dissuader de persister dans mon entreprise, arguant du fait que ce fameux Cormet d'Arêches était à la rigueur praticable à V.T.T. et encore !... J'étais à deux doigts de renoncer, mais ajoutèrent-ils, il y a beaucoup de marmottes ! Ce fût pour moi le déclic ! N'étais-je pas venu pour gravir des cols certes, mais aussi pour voir des marmottes ! Et ce Cormet à plus de 2000 m, vous pensez ! C'était la cerise sur le gâteau, ce ne devait être pour moi le Pyrénéen qu'une simple formalité. (La réalité allait être toute autre...) Et me voici parti... vers mon destin. Moi, sur la gauche dans les lacets à deux chevrons montants et ma voiture " suiveuse " sur la droite en direction d'Albertville dans des lacets à deux chevrons descendants (il n'y a pas de justice ! ...) afin de contourner ce fameux Cormet et me récupérer à l'issue de ma randonnée du côté de la petite ville d'Aime sur l'autre versant. J'ai la digestion difficile dans ces premières rampes, le pourcentage de la montée ne faiblit pas. Par un vaste crochet, me voici propulsé au-dessus de la retenue d'eau du barrage de Saint-Guérin, le coup d'œil y est splendide, la vue imprenable, cela mérite bien une petite pause! Je me surprends à rêver, dieu que la montagne est belle ! |
D'un coup d'un seul, fin du bitume ! Je m'y attendais. Vaille que vaille, je reste en équilibre sur ma machine. Mes pneus de 19 s'empêtrent dans les éboulis, sautent d'une ornière à l'autre, pour finalement se planter carrément dans la caillasse. Je mets pied à terre et tantôt marchant (avec des cales sous les semelles, voyez un peu !), tantôt pédalant (30x28), plus souvent marchant que pédalant, je parviens au lac des Fées. En fait de fées sur les berges de ce petit lac de poupée (heureusement protégé par une barrière) je n'aperçois que quelques voitures laissées là par quelques touristes marcheurs en mal de grands espaces. Dans un court et sec lacet, un coup de sifflet strident me fait sursauter. Comme je marchais, poussant mon vélo sans faire de bruit, je surprends là, à environ dix mètres en contrebas dans un éboulis, un couple de marmottes avec un adorable marmotton. Malgré la faible distance qui nous sépare, tout ce petit ménage ne se rend pas compte de ma présence, et, 10 bonnes minutes durant , je savoure ce rare et bucolique spectacle d'une faune sauvage en totale liberté. Suant, poussant, geignant, glissant sur les cailloux, j'atteins, après avoir contourné puis surplombé une belle cascade, les derniers mètres de mon ascension ; je me fais violence, enjambe ma machine et franchis le point sommital sur mon vélo. Cormet d'Arêches 2108 m ! Ouf ! j'y suis... Étant au sommet, il ne me reste plus qu'à descendre, quoi de plus simple et plus logique me direz-vous ! Logique d'accord, mais simple pas si sûr, car il y a un hic ! Ce n'est pas une descente qui se présente à moi, mais plutôt un énorme éboulis fait d'une pierraille instable sans cesse labourée par les véhicules 4x4 tout terrain qui tentent de gravir le col par ce versant. Et me revoici glissant sur mes cales à côté de mon vélo, la mine renfrognée, les nerfs à fleur de peau, dix fois, vingt fois, j'évite de me retrouver sur les fesses .Un véhicule du type buggy (sorte de hanneton haut sur pattes) cahote, s'essouffle, pour finalement renoncer à monter jusqu'au sommet tellement la "route" est mauvaise. Avec la montée et maintenant ce début de descente, ça fait bien 5 à 6 km que je pousse ou retiens mon vélo. Par le travers d'une petite ferme de montagne qui semble abandonnée, la pente descendante mollit un peu et me permet de souffler. Ma piste qui était jusqu'à présent pratiquement rectiligne à flanc de montagne se mue en une succession de courts lacets. Je décide afin d'abréger un peu mon épopée, de couper ces lacets à travers les talus, vélo sur l'épaule, pour rejoindre la piste un peu plus bas. Et ce qui était en gestation depuis un bon moment et qui devait arriver, arriva. Ce fut subit, l'herbe grasse n'offrant plus de prise à mes chaussures à cales, je me retrouvai illico sur mon séant, empêtré dans mon vélo. Comme un malheur arrive rarement seul, ne voilà-t-il pas que le coup de sifflet strident d'une marmotte, certainement effrayée par le bruit de ma chute, salue à sa façon mon exploit ! Quoi ? Me faire siffler dans ce moment-là, moi qui étais en train de réaliser un " exploit " et qui m'attendais à des applaudissements ? Ce fut plus fort que moi, et instantanément jaillit de ma gorge un retentissant autant qu'incontrôlé : "Ta g.... la marmotte!" qui se répercuta en écho dans la vallée. Ah ça lui a coupé le sifflet à la marmotte je vous le dis ! (Je tiens ici à rassurer les puristes amoureux de la nature que notre amie la marmotte n'a pas été traumatisée pour autant ; juste le sifflet coupé un instant et, 100 m plus bas, j'entendis, heureux cette fois, le joyeux appel de ce splendide animal aussitôt repris par le reste de la troupe disséminée à flanc de montagne). Encore quelques petits lacets de portage-poussette et je retrouve enfin le goudron après, tout compte fait, une bonne dizaine de kilomètres de cyclo-cross et plus de traces de cales sous mes chaussures. Griserie d'une longue descente sur mon vélo, il se fait tard, mon épouse et mes amis doivent se faire du souci et s'impatienter (en fait des 3 heures prévues pour passer ce fameux Cormet d'Arêches, 5 heures y suffirent à peine !) J'eus droit à l'arrivée aux froides félicitations du jury (sans commentaire !) Mais que ce fut beau ! Quel beau souvenir ! Ce plus de 2000, je ne l'ai pas volé, croyez-moi !... Et des marmottes, j'en ai vues... André TORREMONEIL N°1573 de Plaisance du Touch (Haute-Garonne) |